LE CAPITAINE DE L'OUTAOUAIS
LA GLACE VA BIENTÔT PRENDRE SUR LA RIVIÈRE DES OUTAOUAIS, mais cela ne change rien pour les Traversiers Bourbonnais qui fonctionnent hiver comme été, 365 jours par année. Mais cela n’a pas toujours ainsi. Il fut un temps pas si lointain où les traversiers allaient en cale sèche l’hiver et ne reprenaient du service qu’en avril. Remontons à l’année 1947. Eugène Bourbonnais, dont la famille est originaire de Lefaivre et Plantagenet, rassemble toutes ses économies et achète le service de traversier reliant Montebello et Lefaivre. Les affaires tournent rondement surtout avec le Château Montebello (qu’on appelait toujours à l’époque le Seigniory Club) qui accueille chaque semaine des centaines de visiteurs venus de l’autre rive de la rivière des Outaouais. Afin de mieux profiter de cette manne, Eugène Bourbonnais construit en 1960 un premier traversier en acier pouvant accueillir huit voitures. C’est un grand
avancement technologique pour l’époque. Trois ans plus tard, en 1963, Eugène Bourbonnais et son partenaire d’affaires, Hector Bourgeois, frappent le grand coup. Ils font une offre aux frères André et Achille Lamarche pour acheter le service de traversier Masson-Cumberland. « L’un des frères Lamarche était marié avec la soeur de la femme de mon père. Cela a certainement pu aider à conclure l’affaire », raconte Maurice Bourbonnais, qui a commencé à travailler sur les traversiers à l’âge de neuf ans.
Diriger deux services de traversiers à la fois pour un seul homme n’était pas une mince affaire. C’est alors qu’en 1968 Eugène Bourbonnais offre la direction du service de traversier Masson-Cumberland à son fils Maurice. Ce dernier, qui travaillait alors à la section des crimes de la Sûreté du Québec, décide de quitter son emploi pour travailler à temps complet au sein de l’entreprise familiale. « Mon père en avait beaucoup sur les bras. J’ai alors acheté 50 % des parts de la compagnie. J’ai quitté la police et j’ai commencé à m’occuper à plein temps du traversier Masson-Cumberland alors que mon père a continué à gérer le traversier de MontebelloLefaivre », de dire Maurice Bourbonnais. Sous sa gouverne, le traversier de Masson-Cumberland innove et prend de l’expansion. En 1969, on ajoute un deuxième traversier pour mieux répondre aux besoins d’une clientèle grandissante. En 1975, Maurice Bourbonnais achète les parts d’Hector Bourgeois et devient propriétaire unique. L’entreprise appartient alors à 100 % à la famille Bourbonnais.
Des chantiers maritimes à Masson
En 1977, M. Bourbonnais se lance dans la construction de traversiers. «Je me suis rendu à Détroit pour rencontrer une entreprise qui construisait des traversiers. J’ai vu comment il procédait. Quand je suis revenu à Masson, je me suis dit, on va faire la même chose. Non seulement on va construire nous-mêmes nos traversiers, mais on va les bâtir en fonction de nos besoins, soit des bateaux de 18 pieds de large qui peuvent embarquer 12 voitures à la fois », de confier l’entrepreneur qui n’a jamais reculé devant les défis.
LES EMPLOYÉS DES TRAVERSIERS BOURBONNAIS SE SONT AUSSITÔT MIS À LA TÂCHE ET UN AN PLUS TARD, EN 1978,
L’ENTREPRISE AJOUTAIT UN TROISIÈME TRAVERSIER À SA FLOTTE. LA MÊME ANNÉE, ON INNOVE EN MODIFIANT LES TRAVERSIERS AFIN DE PERMETTRE L’ENTRÉE ET LA SORTIE DES VÉHICULES AUX DEUX EXTRÉMITÉS DES BATEAUX.
« Ce fut une grande innovation car cela accélérait l’efficacité du service. Les gens se sentaient aussi plus en sécurité en embarquant et en débarquant du traversier sans avoir à reculer leur voiture », d’expliquer l’homme d’affaires qui a aujourd’hui passé le flambeau à ses fils Alain et Luc. De 1979 à 1991, l’entreprise a construit six traversiers dans ses ateliers situés chemin Fer-à-cheval dans le secteur Masson de la ville de Gatineau, une vraie fourmilière où oeuvre 14 employés.
Un service à l’année
Mais ce n’était pas tout de construire des traversiers performants et sécuritaires. Encore fallait-il relever le défi encore plus grand d’assurer un service 365 jours par année. Maurice Bourbonnais a alors implanté un système de tuyauterie au fond de la rivière des Outaouais visant à souffler des bulles d’air dans le chenal du traversier afin d’empêcher le gel de la glace l’hiver. Les résultats ne furent pas très concluants, de reconnaître l’entrepreneur qui a toujours cherché des moyens pour innover. « On a utilisé ce système pendant trois à quatre ans mais ce n’était pas efficace à mon goût. On a remplacé le tout par l’achat de deux brise-glaces. Depuis ce temps, nos traversiers fonctionnent à plein régime à longueur d’année », a-t-il expliqué.
Aujourd’hui, les Traversiers Bourbonnais possèdent une flotte de six traversiers, deux brise-glaces, qui assure le service à une moyenne de 2000 voitures par jour. La compagnie compte sur une armée de 48 employés. « On a des employés très dévoués. On est chanceux ! », confie l’octogénaire. Mais ce qui fait surtout le succès de l’entreprise, croit-il, c’est le service à la clientèle. Les Bourbonnais sont non seulement soucieux de bien servir leurs clients, ils sont aussi généreux. On l’a vu lors des inondations de mai 2017 alors que la crue des eaux de la rivière des Outaouais avait forcé l’entreprise à interrompre son service pendant 10 jours.
« C’était la première fois depuis 2010 qu’on a dû cesser de fonctionner en raison de la crue. Ce n’est pas une date qu’on aime se rappeler. Mais lorsque la rivière sort de son lit, on ne peut pas faire grand-chose. C’est la nature qui a le dernier mot ». Lors de sa réouverture pendant la longue fin de semaine de la fête de la Reine et de la Journée nationale des Patriotes, les Traversiers Bourbonnais ont remis 1 $ par véhicule au fonds de la Croix-Rouge canadienne pour soutenir les sinistrés des inondations. « C’était important pour nous de faire notre part. On a aussi été victimes des inondations. C’était une façon pour nous de redonner à la communauté, à notre clientèle qui a toujours été fidèle », de dire l’homme qui a soufflé ses 82 bougies en novembre dernier.
La famille Bourbonnais caresse toujours un autre rêve, celui de remplacer son système de traversiers par un pont privé qu’elle financerait. Une autre façon de tisser des liens entre les gens de l’Outaouais et de l’Est ontarien.