Le Gaboteur Magazine

Le monstre blessé de Megan Gail Coles

LA RELÈVE DE LA LITTÉRATUR­E CANADIENNE-ANGLAISE TRADUITE EN FRANÇAIS S’ÉCRIT ACTUELLEME­NT À TERRE-NEUVE, PAR DES FEMMES. PLACE AUX VOIX NOUVELLES DE MEGAN GAIL COLES ET DE SARA TILLEY.

- Textes d’Étienne Vuillaume

LE ROMAN DE MEGAN GAIL COLES SMALL GAME HUNTING AT THE LOCAL COWARD GUN CLUB, LANCÉ EN ANGLAIS LE 7 FÉVRIER DERNIER, EST EN VOIE DE TRADUCTION EN FRANÇAIS, AU QUÉBEC ET EN FRANCE. CE LIVRE RÉDUIT EN MIETTES NOS POSTURES SUR NOTRE SOCIÉTÉ. .

Ne vous fiez pas aux yeux de chatte de l’auteure, ni aux yeux de biche sur la couverture du livre... Le roman de Megan Gail Coles, Small Game Hunting at the Local Coward Gun Club (notre traduction : Chasse au petit gibier au club local des lâches tireurs), est un monstre blessé. Et à ce titre il se déchaîne, fracasse, déchire, détruit, réduit en miettes nos postures sociales, ne laissant derrière lui qu’un immense abatis.

« Il n’y a pas de bons, il n’y a pas de mauvais » dans ce roman, avouait en effet Megan Gail Coles à nos confrères de l’émission de radio On the Go de CBC en février dernier. Tous les personnage­s sont en effet logés à la même enseigne de l’écrivaine terre-neuvienne trentenair­e et originaire de Savage Cove : ils vont souffrir. Durant ce mois de février, « le plus long mois de l’année à Terre-Neuve », précise le narrateur, chacun va en effet subir tout à la fois : aussi bien le défi à la normalité teinté de désespoir d’un Réjean Ducharme que l’ironie acerbe d’une Virginie Despentes.

Car Megan Gail Coles est blessée. Blessée par les inégalités en général, et par Muskrat Falls en particulie­r : « nous avons à Terre-Neuve les personnes les plus riches parmi les riches du Canada atlantique et j’entends les gens dire à quel point nous sommes pauvres. Car on se sent encore plus pauvres et démunis quand on entend tous les jours ou presque à quel point nos ressources naturelles ont été gaspillées. »

Blessée aussi par le mal fait aux femmes, entendu dans les affaires criminelle­s de ces dernières années dans la province. « Ces histoires nous tirent vers le bas : on ressent tellement de douleur et de culpabilit­é que beaucoup de Terre-Neuviens ressentent du désespoir face à l’avenir. »

Et bien qu’elle concède avoir plus d’affinités avec certains personnage­s que d’autres, elle assure les comprendre tous « parce qu’en réalité, on essaie tous la même chose : on essaie tous de trouver le bonheur ». Et c’est peu de dire que cette recherche du bonheur, dénichée dans un restaurant de Duckworth Street à St. John’s, passe par mille et un chemins empruntés chacun par ce monstre blessé.

Et la meilleure manière de supporter et de cicatriser ces blessures est « de faire avec et d’appeler un chat, un chat ». Alors, l’éditeur de la version originale anglaise du roman, la maison Anansi, prévient d’emblée : « cet ouvrage contient des scènes de violences sexuelles, physiques et psychologi­ques. » Rien que ça.

La chasse au petit gibier au club local des lâches tireurs est donc ouverte. Il ne s’agira pas ici de « tirer un coup » sous la plume de cette diplômée de l’Université Memorial de Terre-Neuve et de l’École nationale de théâtre du Canada mais bien plusieurs.

Et ici, point de fusil... Pour comprendre l’allusion, rappelons juste qu’au 17e siècle, les fusils ne pouvaient tirer qu’un seul coup avant d’être rechargés ; la connotatio­n sexuelle fut donc rapide... Sans compter que l’arme à feu est, depuis sa création, le symbole phallique par excellence.

D’origine anglaise, irlandaise et Mi’kmaq, Megan Gail Coles le concède volontiers : « j’ai écrit ce livre pour moi... Et pour cette île splendide et vicieuse qui nous fait et nous défait. » Un roman ancré dans la modernité et la réalité terre-neuvienne mais aussi dans la pure et brillante lignée des romans rock et féministes des années 1990 et du mouvement #metoo, évidemment.

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traduction française de Eating Habits of the Chronicall­y Lonesome,
d’abord paru chez l’éditeur terre-neuvien Flanker Press.
La maison québécoise Marchand de feuilles et la critique ont craqué pour le le recueil de nouvelles de Megan Gail Coles Les habitudes alimentair­es des mal-aimés, traduction française de Eating Habits of the Chronicall­y Lonesome, d’abord paru chez l’éditeur terre-neuvien Flanker Press.

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