Le Gaboteur

Familles d’accueil : aider sans déraciner

À Terre-Neuve-et-Labrador, les services sociaux font face à un manque général de familles d’accueil pour les enfants retirés de la garde de leurs parents. Mais pour les communauté­s Innu et Inuit, cette pénurie se fait encore plus durement sentir : beaucou

- Sophie Tremblay Morissette

Lors de notre arrivée à Nain, une amie d'enfance d'Harry travaillai­t au bureau des services sociaux. Ayant elle-même grandi en famille d'accueil, elle est devenue maman d'accueil dans sa jeune vingtaine et a ouvert les portes de sa maison à un nombre impression­nant d'enfants au fil des ans.

Cette amie était souvent bouleversé­e par le sort des enfants retirés de leurs familles dans notre communauté d'adoption. Nous avons posé des questions, elle nous a beaucoup encouragés à faire le saut puis nous avons entamé les démarches. Nous sommes officielle­ment devenus famille d'accueil en décembre 2014.

LA RÉALITÉ DES ENFANTS INUITS

Plus tôt cette année, CBC et

Radio-Canada ont publié et diffusé plusieurs reportages sur le sort des jeunes Labradorie­ns qui entrent dans le système des services sociaux. En voici un extrait : « Plus de 30% des enfants pris en charge par une famille d'accueil dans la province viennent du Labrador. Selon les plus récentes données disponible­s, soit celles de 2016, cela représente 310 enfants, même si le Labrador compte seulement 6 % de la population de la province. Environ un tiers des enfants retirés de la garde de leurs parents au Labrador sont placés dans des familles d'accueil à Terre-Neuve, dans des communauté­s blanches. Dans la plupart des cas, ces enfants sont envoyés dans les communauté­s voisines de Roddickton et d'Englee à Terre-Neuve ». (Radio-Canada avec CBC, 28 février 2017)

Plusieurs résidents du Nunatsiavu­t ont été choqués lorsque Terry Roberts (CBC) a publié son premier reportage sur le sujet le 28 février dernier. Il y était question de l'importance des enfants inuits dans l'économie de Roddickton et d'Englee, du fait que leur arrivée avait sauvé l'école et fait fleurir l'économie locale qui était en déclin.

Loin de moi l'idée de blâmer les familles d'accueil de ces municipali­tés. Ouvrir sa maison et son coeur à un enfant fragilisé est loin d'être facile. Je crois sincèremen­t qu'il faut avoir beaucoup d'amour, de patience et d'ouverture et j'aime penser que ces familles ont de bonnes intentions.

PERTE DE REPÈRES

Je suis cependant attristée d'entendre les élus parler des enfants inuits en termes économique­s. Les enfants du Nunatsiavu­t sont complèteme­nt déracinés et privés de tous leurs repères et visages familiers lorsqu'ils sont envoyés si loin de chez eux. Certains n'ont aucun contact avec leur famille pendant des mois. Ils arrivent dans une famille d'inconnus avec qui ils doivent vivre, manger, dormir et construire une relation familiale positive.

Dans un autre article publié par Terry Roberts le 8 mars dernier, le Premier ministre de la province de Terre-Neuve-etLabrador affirme que le sort des enfants en famille d'accueil est une priorité tout en admettant n'avoir aucun plan pour redresser la situation. Ici, certains leaders demandent une plus grande autonomie du gouverneme­nt du Nunatsiavu­t dans le dossier, alors que d'autres pensent que le plus important demeure la sécurité des enfants, quitte à les éloigner de leur culture.

DES PISTES DE SOLUTIONS

Je ne crois pas qu'une solution unique existe. Je pense sincèremen­t que le nombre d'enfants dans le système des services sociaux est la conséquenc­e de plusieurs problèmes provoqués entre autres par les grands bouleverse­ments de la relocalisa­tion et ses conséquenc­es.

Je pense aussi que le système est probableme­nt plus sévère avec les familles inuites. Les travailleu­ses sociales sont en grande majorité blanches et ont souvent peu d'expérience. Elles arrivent ici avec une compréhens­ion limitée de la réalité inuite et elles quittent souvent après quelques années, voire quelques mois seulement.

Du point de vue des familles d'accueil, je sais qu'il faut nécessaire­ment en trouver plus, mieux les accompagne­r, les rassurer, répondre à leurs questions, les former plus adéquateme­nt et s'assurer que les enfants sont bien entourés pendant la transition.

Je sais aussi pour l'avoir vécu souvent que les familles d'accueil disposent de très peu de temps et d'informatio­n avant de prendre une décision lors d'une demande. J'ai reçu des demandes vers 11 h le matin et l'enfant en question était déjà en vol vers Terre-Neuve à 14 h lors de mon retour d'appel. Le manque d'expérience des travailleu­ses, les ressources insuffisan­tes, les restrictio­ns budgétaire­s et le nombre limité de familles d'accueil font en sorte que la solution qui semble la plus simple devient systématiq­uement l'envoi des enfants inuits vers l'île de Terre-Neuve.

Quant à la formation destinée aux nouvelles familles d'accueil, nous attendons toujours notre tour. Elle a été offerte une seule fois depuis décembre 2014.

LA FAMILLE S’AGRANDIT

Nos débuts comme famille d'accueil ont été difficiles. Nous n'étions pas outillés et nous avons dû apprendre sur le tas comment être parents d'une adolescent­e d'une culture que nous ne connaisson­s pas tant que ça. Au début, j'ai souvent trouvé que la situation était injuste pour elle. Nous étions dépassés et elle était en colère. Notre famille est loin d'être parfaite dans le contexte actuel. Nous sommes Kallunâk – blancs – et nos habitudes de vie sont bien différente­s des traditions inuites. Par ailleurs, nous sommes bien ancrés dans la communauté et habiter avec nous permet à notre belle ado d'avoir accès à sa culture, de garder contact avec sa famille biologique et de grandir entourée de ses ami(e)s.

Malgré des débuts mouvementé­s, nous avons appris à nous connaître, à nous faire confiance, à nous aimer. Aujourd'hui, notre « fille d'accueil » fait partie de la famille. Léon et Nellie l'adorent. Pour Harry et moi, elle est une grande troisième, une soeur pour nos petits, une jeune femme que nous aimons beaucoup et qui restera toujours dans nos vies peu importe la durée de son séjour avec nous.

ET MAINTENANT?

Bien que je préfère généraleme­nt parler de Nain et du Nunatsiavu­t en termes positifs, je suis heureuse de la couverture médiatique sur le problème des enfants pris en charge par les services sociaux parce que celle-ci a engendré beaucoup de réactions et de discussion­s.

Il faut trouver de meilleures solutions pour les enfants inuits du Labrador avant qu'une partie de cette génération ne soit privée de sa culture et ne porte le poids très lourd du déracineme­nt et de la perte identitair­e.

 ?? Photo : Sophie Tremblay Morissette ?? À Nain, la famille de Sophie Tremblay Morissette a accueilli une adolescent­e de la communauté.
Photo : Sophie Tremblay Morissette À Nain, la famille de Sophie Tremblay Morissette a accueilli une adolescent­e de la communauté.

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