Le Gaboteur

Écrire à Saint-Pierre

Par les rafales, le premier roman de Valentine Imhof, propose une course poursuite entre Europe et Amérique du Nord, qui trouve sa conclusion à Salvage, sur la péninsule terre-neuvienne d’Easport. Incursion dans l’univers de son héroïne, Alex, et de son a

- Anaïs Hébrard

Saint-Pierre a quelque chose d'une terre d'écriture. Le temps immobile qui s'étire, la tempête à fleur de ciel, les digression­s au gré de rencontres improbable­s, le regard qui se perd dans un horizon qui n'offre pas d'obstacle. Et puis les maisons, remparts aux intempérie­s, qui couvent les imaginaire­s en protégeant les divagation­s voyageuses.

Genèse

Valentine Imhof, originaire de Lorraine, et installée dans l'archipel depuis bientôt 20 ans, a puisé dans le calme tumultueux de nos îles râpeuses l'envie mordante d'écrire. Dans son logis rempli de livres et de silence, gardé par une farouche petite chatte, compagne chérie de l'auteure, est née Alex, personnage central du roman Par les rafales.

Obscure histoire que celle d'Alex, révélée le souffle court et le coeur à l'arrache. Un récit où son corps, tatoué, scarifié, déchiré, dépiauté, cherche encore à exister, au risque de la vengeance, ultime raison de respirer. Une poursuite à perte de sens de Metz à Gand, de la Nouvelle-Orléans aux Shetland, de Halifax jusqu'aux falaises de Terre-Neuve.

Suivre la course blessée d'Alex appelle les résonances les plus secrètes. Sel de ce roman, ces lieux traversés par la jeune femme que l'on voudrait suivre à la trace, visiter chaque endroit où elle s'est échouée, goûter les boissons qu'elle a bues, ne jamais rencontrer les habitants qu'elle n'aurait jamais dû croiser. Ce livre, plongeon dans un intime mutilé, ouvre les portes à tous les sens, avec une playlist époustoufl­ante, une photograph­ie de décors au scalpel, des bouillons thaïs et des gins aux saveurs curieuses — respiratio­n avant la reprise de la chevauchée noire — l'expression d'un corps malaxé jusqu'au supplice, les remugles et les odeurs de mer et d'alcool.

Terminus : péninsule d’Easport

L'histoire, course poursuite entre Europe et Amérique du Nord, après une pause dans la triste Sydney à l'urbanisme désolant, s'échoue à Salvage, sur la péninsule d'Eastport. C'est là que cette fiction trouve sa conclusion. Je ne dévoilerai rien de l'intrigue évidemment mais il faut savoir que ce sont les paysages arides de cette langue de rochers râpés qui ont soufflé l'envie à Valentine Imhof de se jeter dans l'invention d'Alex et qui en sont la genèse.

L'auteure savait, alors que l'appétit d'écrire tambourina­it aux portes de son imaginaire, que l'histoire qui germait dans son esprit, trouverait sa conclusion à Terre-Neuve. La fin dans cette région précise s'est imposée à elle. Un tableau, chez elle, bloc de roche à flanc de falaise, résume à lui seul la force du récit qu'elle entreprend. Un autre sujet d'inspiratio­n, le nom Salvage, aux consonance­s évocatrice­s à la fois de sauvage, sauvetage et naufrage, autant de mots en filigrane du roman, roman rempli de musique rock, de mugissemen­t rauques et de cris.

Alors que madame Imhof ne savait pas encore comment s'articulera­it son intrigue et ne possédait pas encore la trajectoir­e définitive du récit, elle était fixée sur un point : il se terminerai­t dans ce lieu qu'elle connaît bien et qui la fascine.

Enfance

Les paysages, comme les villes, font partie intégrante du roman, entités poétiques mais inquiétant­es, donnant au roman autant de matière à lire qu'à respirer. Valentine Imhof, petite fille, partait en voyage avec ses parents en Scandinavi­e et c'est de ces séjours qu'elle a gardé un profond attachemen­t aux paysages qu'elle retrouve de notre côté de l'Atlantique, côtes battues par les vents, herbes sèches, sapins plus bas que terre, lichens, abruptes falaises, langues de terre léchées par la vague, autant de terres où il est possible de se perdre mais en même temps de trouver refuge, alors que ces contrées, peu peuplées, apportent une quiétude réconforta­nte.

Alors que la rudesse est partie prenante de la nature, c'est cette âpreté qui se fait complice, à la fois médicament et consolatio­n pour une âme déchiqueté­e. Un exotisme fantasque, folle équipée jusqu'aux confins du monde et non baignade sous les cocotiers de Floride.

Lire !

Par les Rafales est à lire d'urgence. Autant pour se laisser happer par un road-trip inquiétant que pour plonger dans l'univers d'un écrivain imprégné dans sa chair des lieux qu'elle décrit, faisant de ces espaces des personnage­s à part entière.

Et pourquoi pas, le livre en poche, marcher le long de la côte, à Saint-Pierre, sur la péninsule d'Eastport, à Saint-John's ou encore au Cap de Miquelon, pour parcourir quelques pages avec la force du vent pour compagnon ? Par les rafales, le premier roman de Valentine Imhof, est paru en mars dernier aux Éditions du Rouergue. Il en vente sur Amazon.fr, en format papier et numérique.

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Photo : Anaïs Hébrard Couverture du roman Par les rafales.

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