« Cheval indien » : il lance et « conte »
Indian Horse est actuellement à l’affiche, en anglais, au Scotiabank Theatre du Avalon Mall, à St. John’s. Ce film, réalisé par Stephen S. Campanelli, est un adaptation, à l’écran, du roman du même nom du regretté Richard Wagamese, traduit et disponible en français sous le titre Cheval indien.
Le collaborateur du quotidien Le Devoir André Lavoie a vu le film lors de sa sortie en salle à Montréal. Nous reproduisons sa critique, publiée le 13 avril, avec l’aimable autorisation du Devoir. Peut-être que certains l'ignorent, mais Carey Price, gardien du Canadien de Montréal, affiche fièrement ses origines autochtones. Si ce n'est pas déjà fait, on doit lui recommander de lire Indian Horse, du regretté Richard Wagamese, issu de la communauté ojibwé, ou de voir le film qu'en a tiré Stephen S. Campanelli (Momentum).
Il s'agit d'une fiction, certes, mais nourrie de toutes les horreurs maintenant bien documentées sur les pratiques dans les pensionnats autochtones et les traumatismes liés à la dislocation brutale des familles, à la perte d'une langue et celle d'une identité. Or, Indian Horse ajoute une dimension éminemment canadienne à cette histoire bouleversante, une métaphore sportive qui appelle au dépassement, sans pour autant se révéler miraculeuse : la pratique du hockey.
C'est en partie grâce à cela que le jeune Saul (défendu successivement par Salden Peltier, Forrest Goodluck et Ajuawak Kapashesit) peut survivre au souvenir du décès de son frère, de la disparition de ses parents et de la mort de sa grand-mère en plein bois, dans le froid, et dans ses bras. Contre son gré, le voilà lui aussi enfermé à double tour dans un pensionnat, où un prêtre bienveillant (Michiel Huisman) installe une patinoire, permettant à quelques garçons de s'émanciper sur la glace. Au fil des années, Saul développe un talent exceptionnel, au point d'attirer l'attention d'une famille d'accueil qui pourrait lui permettre d'aller encore plus loin.
On se croit devant le récit édifiant d'un athlète atteignant les plus hauts sommets malgré l'adversité, mais Indian Horse emprunte avec brio d'autres chemins, plus troublants et moins schématiques. Car si on épingle l'esprit de corps salutaire propre au hockey, des vertus dignes de tout bon sport d'équipe, on ne fait jamais l'économie d'un racisme décomplexé dans les arénas et de la difficulté d'afficher sa différence sur la glace ou dans les vestiaires — parlez-en à PK Subban…
Indian Horse se distingue bien au-delà de ce cinéma sportif, d'abord par sa grande virtuosité esthétique. Stephen S. Campanelli, un as de la steadicam depuis des années auprès de Clint Eastwood, s'est associé à Yves Bélanger, grand complice de Jean-Marc Vallée (Wild, Big Little Lies). La signature visuelle apporte souffle et beauté à ce récit parfois glauque ainsi qu'à des environnements urbains ou industriels sans âme, avec quelques belles échappées dans la nature, même si celle-ci peut s'avérer impitoyable.
Si l'on reconnaît parfois une stratégie bien canadienne-anglaise d'engager des acteurs américains (dont Michael Murphy et Martin Donovan, ici dans des rôles secondaires) pour appâter un public pas très friand de son cinéma, Indian Horse se défend surtout, et admirablement, par la succession d'interprètes qui incarnent la figure tragique, et le plus souvent silencieuse, du prodige Saul. L'évolution sinueuse de ce personnage « poussé hors du monde de [ses] légendes » s'accompagne d'un montage frénétique pour couvrir cette vaste trajectoire d'une étoile montante qui deviendra peut-être étoile filante. Car s'il lance et compte, parfois au prix de maints sacrifices et de plusieurs humiliations, sa plus grande victoire sera sur la glace vive d'un système chargé de le broyer.