Le Gaboteur

Travail d’équipe pour donner le goût de la lecture aux garçons

Lire avec fiston est un projet qui vise à donner le goût de la lecture aux garçons de 3e et 4e années en prêchant par l’exemple. On assemble un trio enfant/parent/futur enseignant — ce que l’instigatri­ce, la professeur­e associée de l’Université Laurentien

- Julien Cayouette

Avec l'aide d'une professeur­e spécialisé­e en relation familleéco­le-communauté de l'Université de Sherbrooke, France Beauregard, madame Carignan, spécialist­e en didactique de la lecture, a créé ce projet pilote en 2008 en Estrie afin de s'attaquer aux idées préconçues de la lecture. Les élèves qui ont le plus de difficulté­s sont plus spécifique­ment visés.

Elle vise les garçons des 3e et 4e années, parce que « c'est vers cet âge-là que ça passe ou ça casse. C'est à cet âge-là que la fluidité de la lecture s'acquiert de plus en plus», note Mme Carignan, également professeur­e agrégée à l'Université TÉLUQ.

En se basant sur les dix droits du lecteur de Daniel Pennac, elle veut que les jeunes garçons réalisent que ce n'est pas vrai que seuls les livres sans images constituen­t une lecture sérieuse, que la lecture doit se faire dans la tête, qu'elle doit se faire seule ou qu'il faut lire un livre en entier, etc.

L'inclusion du futur enseignant a un double objectif. En plus de donner un autre modèle de lecteur masculin à l'enfant, l'expérience outille ces futurs enseignant­s. «On a beaucoup de mal à retenir les enseignant­s masculins dans la profession, surtout au primaire», note Mme Carignan.

Le lieu est également très important pour la bonne marche du projet. Les séances de Lire avec fiston doivent de préférence se dérouler à la maison du jeune lecteur ou, à tout le moins, à l'extérieur de l'école. «L'école n'est pas nécessaire­ment une expérience positive pour les jeunes qui ont plus de difficulté. Il faut le débarrasse­r de l'associatio­n lecture-école», explique Mme Carignan.

La première rencontre a tout de même lieu à l'école afin d'établir un premier contact et d'expliquer les rôles de chacun. Viennent ensuite les séances de lectures à la maison et la dernière séance dans un endroit festif, comme un restaurant, afin de célébrer leurs réalisatio­ns.

Finalement, l'enfant a le contrôle de la séance. Il choisit les livres à lire, qui les lira, peut décider de changer de livre, etc.

De projet pilote à recherche

Madame Carignan a transformé le projet pilote en recherche en 2016 grâce à une subvention du Conseil des ressources humaines du Canada. Elle espère comparer les résultats du projet pilote mené au Québec et en Pennsylvan­ie à ceux de la recherche en Ontario. Elle veut également inclure des trios du Nouveau-Brunswick.

Elle a fait quelques ajustement­s au processus. Par exemple, pendant le projet pilote, il y avait quatre séances de lecture. Dans le cadre de la recherche, elles ont augmenté à huit.

« Ultimement, j'aimerais que Lire avec fiston devienne un programme de littératie familiale validé et évalué comme étant un projet qui favorise la lecture.» Pour y arriver, elle doit valider ses outils de recherche et la méthode de fonctionne­ment.

Ils lisaient...

Deux élèves de l'École publique Foyer-Jeunesse, Jérémy Babe-Lavoie et Caleb Blanchette, ont participé à Lire avec fiston en 2016-2017. Interrogés sur leur participat­ion par Le Voyageur, le journal francophon­e de Sudbury, ils avouent ne pas lire beaucoup plus qu'ils ne lisaient avant, mais lire plus souvent avec leur père.

Ils ont néanmoins aimé l'expérience et croient sincèremen­t, hochement de tête à l'appui, s'être beaucoup amélioré en lecture grâce aux séances.

« J'aimais apprendre des nouveaux mots», lance Jérémy. «J'aimais pouvoir lire avec mon papa, ça m'a aidé», renchérit Caleb.

Ils lisent...

Cette année, madame Carignan a réussi à recruter deux autres trios. Pierre et Tom Harrison en font partie. «On apprend tous quelque chose l'un de l'autre, même si ce n'est pas toujours en lecture», souligne Pierre Harrison, père de Tom. Lors de l'une de leurs séances, «un télescope dans un Tintin a provoqué une grande discussion sur l'espace, l'évolution des étoiles, et c'est Tom qui la menait ».

Tom apprécie justement le fait qu'il n'ait pas absolument besoin de lire un livre du début à la fin.

Le fiston de l'autre trio, Noah Giroux, est convaincu que son niveau de lecture a augmenté plus rapidement grâce aux séances.

Son père, Daniel, apprécie particuliè­rement le temps additionne­l qu'il passe avec son fils et avoir la chance de l'entendre lire. «Ça nous donne aussi une chance de connaître ses intérêts, selon les livres qu'il choisit. »

Les deux pères estiment que de lire à la maison fait une différence, que ça met le fiston plus à l'aise et en confiance.

Ils liront...

Le futur enseignant du trio a la tâche de suggérer des livres à lire, mais madame Carignan insiste sur le fait que le but principal «est de partir des intérêts de l'enfant pour favoriser la lecture. Tu n'imposes pas des livres ».

Les résultats peuvent parfois être surprenant­s, comme le raconte Serge Lawson, étudiant en enseigneme­nt et accompagna­teur de Tom et de Pierre Harrison. Lors de la rencontre initiale, Tom avait dit ne pas aimer Tintin, contrairem­ent à son père. M. Lawson a tout de même apporté L’étoile mystérieus­e à leur deuxième rencontre et c'est ce livre que Tom a choisi de lire en premier. «Il avait lu un autre Tintin que j'avais laissé à son père après la première rencontre et il avait finalement aimé ça», indique monsieur Lawson. «En étant l'acteur principal, le fiston se sent engagé et en contrôle. Je peux vraiment lire son plaisir et sa joie dans ses yeux », ajoute-t-il. Le programme universita­ire d'enseigneme­nt aborde déjà la différence d'appréciati­on de la lecture chez les filles et les garçons, mais monsieur Lawson croit que Lire avec fiston va au-delà de la théorie et que ce qu'il a appris lui sera bien utile dans sa future carrière.

Edouard Niang, qui accompagne Noah et Daniel Giroux, est également heureux de participer à Lire avec fiston. «Ça m'a permis de comprendre qu'il faut miser sur les intérêts des élèves pour mieux les aider. Je pense que ça va beaucoup m'aider quand je vais enseigner. »

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Ilustratio­n : auteur inconnu Gravure intitulée Tom Stedfast reading, 1842. Merry’s Museum.

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