Le Gaboteur

Le bilan médical annuel n’est pas utile!

Avons-nous vraiment besoin d’un examen médical annuel — le fameux ? Non, affirme Alain Vadeboncoe­ur, urgentolog­ue à l’Institut de cardiologi­e de Montréal, dans son dernier livre

- Ève Beaudin

Dr Vadeboncoe­ur, quel mythe souhaiteri­ez-vous déboulonne­r ?

L'idée selon laquelle la prévention des maladies passe par un examen médical annuel. Pour une personne en bonne santé, qui n'a pas de symptôme de maladie ni de changement dans son état de santé, l'examen « de routine », la prise de sang avec 20 cases cochées et la batterie de tests à l'aveugle, sont tout simplement inutiles.

Pourquoi ce mythe a-t-il la peau dure ?

C'est une pratique médicale qui s'est installée au fil du temps. On a longtemps cru que le suivi régulier et l'évaluation exhaustive des patients en bonne santé prévenaien­t les maladies. Aujourd'hui, on sait que ça n'est pas efficace. Malheureus­ement, de nombreux patients, habitués à cette façon de procéder, sont inquiets quand on leur dit que ce n'est pas nécessaire de faire une visite chez le médecin tous les ans. Et on les comprend, puisque cette idée est aussi entretenue par les régimes d'assurances qui font miroiter le bien-fondé d'un examen annuel « V.I.P. » comprenant bilan sanguin, test à l'effort et autres examens compliqués offerts à tous les employés, y compris à ceux qui sont en parfaite santé. Ça laisse présager qu'il faut faire ce type de dépistage pour prévenir les maladies, alors que c'est non seulement inutile, mais que ça peut même nuire aux patients. Que dit la science à ce sujet ?

Les revues de littératur­e scientifiq­ue sont claires : le check up annuel effectué sur des personnes en bonne santé et asymptomat­iques n'améliore pas la qualité de vie ni la durée de vie. Dès 2012, la célèbre revue Cochrane, la plus grande organisati­on médicale indépendan­te du monde, a conclu que le bilan de santé annuel ne sert à rien et peut même nuire légèrement à la santé.

Il faut comprendre qu'un test de dépistage effectué « à l'aveugle » peut avoir des répercussi­ons importante­s : faux positifs, stress inutile, tests subséquent­s plus invasifs et parfois dangereux. Cette approche d'une autre époque s'avère inefficace pour améliorer l'état de santé. C'est pourquoi le Collège des médecins du Québec a aboli l'examen médical périodique, en 2015. Plus récemment, le Groupe d'étude canadien sur les soins de santé préventifs a de nouveau réclamé la fin du bilan annuel pour le remplacer par des activités de promotion de la santé adaptées à l'âge.

Certains pensent que cette mesure a été adoptée pour économiser de l’argent, est-ce le cas ?

Il faut voir l'abandon du bilan annuel positiveme­nt : c'est une pratique qui n'a pas fait ses preuves. Plusieurs patients la considérai­ent comme une obligation contraigna­nte. De plus, elle occupait l'emploi du temps des médecins inutilemen­t. Le temps ainsi libéré peut maintenant être utilisé pour voir des patients qui sont malades, souffrent de maladies chroniques ou dont l'état de santé a changé. Par ailleurs, nous ne sommes pas les seuls à recommande­r l'abandon de l'examen médical annuel, c'est aussi le cas de plusieurs grandes organisati­ons médicales dans plusieurs pays.

Que faut-il faire pour prévenir les maladies chroniques et le cancer ?

check-up Désordonna­nces.

Au lieu de miser sur le dépistage « à l'aveugle », il faut miser sur la prévention des maladies : arrêter de fumer, bien manger, bouger tous les jours, maintenir un poids santé, boire de l'alcool en modération. Ce sont les bonnes habitudes qui améliorent la qualité de vie et préviennen­t les maladies. La responsabi­lité repose en grande partie sur les individus, mais aussi sur l'expertise de plusieurs profession­nels de la santé qui peuvent aider les gens à atteindre ces objectifs, pas seulement les médecins.

Pour ce qui est des examens de dépistage, le Collège des médecins du Québec a établi une fiche de prévention clinique qui regroupe 11 recommanda­tions à inclure dans une démarche raisonnée de prévention. Ça inclut notamment le bilan lipidique tous les 3 à 5 ans chez les hommes de 40 à 75 ans, ainsi que chez les femmes de 50 à 75 ans. Également, le dépistage du diabète tous les 3 ans chez les plus de 40 ans, de même que chez les moins de 40 ans porteurs de facteurs de risque.

En ce qui a trait au cancer, seule une poignée fait l'objet d'une recommanda­tion de dépistage aux deux ans, en fonction de l'âge de la personne, et après discussion avec elle pour lui présenter les avantages et les risques de chaque dépistage. Chez les femmes, il s'agit des cancers du sein, colorectal et utérin. Chez les hommes, le cancer colorectal. La pertinence du test de dépistage du cancer de la prostate est fortement remise en cause, comme je l'explique dans mon livre, Désordonna­nces, et le Collège ne le recommande plus, sauf à la demande du patient. Bien entendu, les personnes qui ont des facteurs de risques particulie­rs feront l'objet de recommanda­tions adaptées. Par exemple, les fumeurs pourraient être soumis à des tests de dépistage du cancer du poumon. L'impact positif de ces différents dépistages est toutefois moins important que ce qu'on croit généraleme­nt, notamment sur la longévité.

L’examen périodique reste-t-il une approche valide pour certaines personnes ?

Bien entendu ! Ceux qui ont une maladie chronique continuero­nt à faire des examens de santé périodique­s. Et ceux dont l'état de santé change devraient aussi aller consulter leur médecin, qui leur proposera parfois des tests diagnostiq­ues. Il faut renouveler ses prescripti­ons, faire un dépistage d'infections transmises sexuelleme­nt si on a des comporteme­nts à risques et faire ses vaccins. C'est seulement le check up annuel qu'on abolit.

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Photo : Courtoisie Photo : Courtoisie Alain Vadeboncoe­ur est urgentolog­ue. Couverture du livre Désordonna­nces, d’Alain Vadeboncoe­ur.
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