Pour rester à Terre-Neuve-et-Labrador, il faut une job
Terre-Neuve-et-Labrador est l’endroit au pays où les réfugiés représentent le plus fort pourcentage de l’immigration récente, soit 27,3 % en 2016. Une équipe de l’Université Memorial s’est intéressée aux facteurs qui poussent ces derniers à rester dans la province… ou à la quitter. Aperçu de son rapport.
Terre-Neuve-et-Labrador voit dans l'immigration un des principaux moyens pour contrebalancer le vieillissement et le déclin de la population. Objectif : accueillir chaque année 1700 immigrants d'ici 2022. Au-delà des considérations humanitaires, la province a donc ouvert largement ses portes aux réfugiés au cours des dernières années. Ainsi, en 2016, sur 1190 nouveaux arrivants en provenance d'autres pays, 325 appartenaient à ce segment d'immigration.
Pour que l'immigration permette d'atteindre les résultats escomptés, encore faut-il que ces derniers, comme les autres immigrants d'ailleurs, restent dans la province. Or, une étude réalisée en 2005 par la firme de consultants Goss Gilroy Inc. avait établi que 35 % des réfugiés qui étaient arrivés dans la province de janvier à octobre 2004 l'avaient quittée dans les 10 mois après leur arrivée, et que le tiers de ces derniers l'avaient quittée pendant le premier mois.
Les choses ont-elles changé ? Pas vraiment, révèle le récent rapport Retention and Integration of Refugees in Newfoundland and Labrador (« Rétention et intégration des réfugiés à TerreNeuve-et-Labrador », notre traduction), réalisé par une équipe du département d'économie de l'Université Memorial, sous la direction du professeur Tony Fang, titulaire de la Chaire de recherche Stephen Jarislowsky en transformation économique et culturelle.
Son équipe a en effet découvert que moins de 40 % des réfugiés arrivés dans la province en 2010 y habitaient toujours en 2015. C'est le plus bas taux de rétention au Canada pendant cette période. Les provinces au peloton de tête pour la rétention sont, dans cet ordre, l'Ontario, l'Alberta, la Colombie-Britannique et le Québec.
Plus de 100 participants
Pour mieux cerner les facteurs de rétention des réfugiés dans la province, le professeur Fang et ses collègues sont partis sur le terrain pour demander à 105 réfugiés, dont une trentaine de mineurs, comment s'était passée leur installation ici et ce qui leur donnait envie de rester ou de partir vers de nouveaux horizons.
Les participants à l'étude appartenaient à deux groupes, selon le moment de leur arrivée. Le premier groupe était composé de Syriens vivant depuis plus récemment dans la province. Les participants du second groupe étaient installés depuis plus longtemps et provenaient de plusieurs pays : le Soudan, l'Érythrée, la République démocratique du Congo, l'Iraq, la Palestine, le Nigéria, le Libéria et la Sierra Leone. Les chercheurs ont également réalisé des entrevues avec 16 intervenants engagés dans leur accueil et leur intégration.
Accueil chaleureux, et après
Bonne nouvelle, la première impression des nouveaux arrivants est positive : les réfugiés interrogés sont globalement satisfaits de l'accueil et trouvent les habitants de la province souriants, amicaux et respectueux. En outre, ils aiment la neige (du moins au début !), la proximité avec la nature et le sentiment de sécurité qu'offrent les villes de la province. La plupart d'entre eux apprécient aussi les cours d'anglais qui leur sont offerts, même s'ils regrettent qu'ils soient trop axés sur la langue écrite, et pas assez sur la langue de tous les jours.
Mais une fois installés ici, les réfugiés font face à plusieurs difficultés. Parmi ces dernières, la recherche d'un travail tient une place prééminente. De nombreuses études montrent qu'au Canada, l'expérience professionnelle et les diplômes détenus par les réfugiés n'ont que peu de valeur sur le marché du travail. Les réfugiés, même bien formés, ont tendance à ne trouver que des postes situés au bas de l'échelle des rémunérations.
Leur manque de maîtrise de l'anglais (ou du français dans les régions francophones), la difficulté à faire reconnaître les diplômes étrangers, mais aussi l'absence de réseau professionnel et la méconnaissance du système administratif de leur pays d'accueil sont tous des éléments qui expliquent cet état de fait.
Bas salaires
Ainsi, seul un tiers des réfugiés établis ici depuis plusieurs années ont un emploi, pour la plupart dans le secteur des services, constate le rapport. Or, selon la taille de la famille, un tel revenu ne suffit pas : il est plus avantageux de toucher l'assistance sociale. Et certaines personnes, se voyant incapables de nourrir leur famille avec ce qu'ils gagnent, sont contraintes de quitter leur emploi pour bénéficier de l'aide du gouvernement.
Comme le constate une dame citée dans l'étude : « Mon mari travaille ici mais son salaire est vraiment bas. Il touche un peu moins de 1000 $ par mois, et pour les enfants on reçoit 900 $, donc ça fait moins de 2000 $ en moyenne. Avec ça, on arrive à peine à payer le loyer et les frais de chauffage et d'électricité » (notre traduction).
En outre, beaucoup de réfugiés souhaitent soutenir leur famille restée dans leur pays d'origine, et ont besoin pour cela d'un revenu plus important. Comme le constate un réfugié établi ici depuis longtemps : « Ce qu'ils gagnent ici ne suffit pas à subvenir à leurs besoins et à aider leurs proches restés au pays. Les gens d'ici ne réalisent pas qu'ils ne s'occupent pas uniquement de la famille qui les a accompagnés ici. C'est différent de ce qui se fait ici. La plupart des réfugiés quittent la province afin de trouver un travail qui leur permette de subvenir aux besoins de leur famille restée au pays. »
Faibles opportunités
Selon les auteurs de l'étude, beaucoup de réfugiés sont conscients de la précarité de l'économie de Terre-Neuve-et-Labrador, ont l'impression que les possibilités d'emploi dans la province sont restreintes, et estiment que d'autres villes ou régions du Canada offrent plus d'opportunités. Cependant, beaucoup de réfugiés apprécient notre province, ses habitants et les services fournis, et désireraient rester, s'ils pouvaient trouver un travail.
Les autres difficultés rencontrées par les réfugiés qui arrivent ici sont assez similaires à celles qu'expérimentent quotidiennement les Terre-Neuviens et Labradoriens, mais elles sont accentuées par la vulnérabilité du statut de nouvel arrivant, les problèmes de communication, le manque de réseau social et la méconnaissance des lieux et des us et coutumes. Ainsi, le prix de la nourriture, et notamment des légumes (3 $ le concombre, note une des personnes interrogées !), le mauvais temps, le coût élevé du logement et la longue attente pour obtenir des soins médicaux figurent parmi les éléments d'insatisfaction les plus souvent cités par les réfugiés.
Même fraîchement débarqués, les réfugiés mettent donc immédiatement le doigt sur les points faibles de leur province d'accueil.