Le Gaboteur

Retour à la case départ pour Laetitia Feller

- Rémi Berland

Laetitia Feller, de Wabush, vit au Labrador depuis 2012. Originaire de Suisse, la néo-franco-labradorie­nne de 36 ans a vite été confrontée à de nombreuses embûches dans sa quête pour dénicher un emploi dans son domaine. Périple d’une immigrante qui a pris le taureau par les cornes avec déterminat­ion !

« On arrivait de Suisse, des routes dignes des autoroutes canadienne­s, et un village tous les deux kilomètres. Autant dire que c'était le jour et la nuit. Il faisait super froid, à peine 18°c ». Ce sont les mots utilisés par Laetitia Feller lorsqu'elle évoque son arrivée à Wabush en mai 2012, année de ses 30 ans. Une vie aux contours tellement différents l'attendait son mari et elle : « Tout était nouveau pour nous, de l'alimentati­on aux maisons en bois colorées en passant par ces immenses voitures que l'on appelle

pickup et surtout, l'absence totale de très hautes montagnes ».

Arrivée au Labrador avec son mari qui a un visa fermé pour travailler dans une firme d'ingénierie, la jeune femme évoquait déjà la difficulté à s'imaginer y vivre quelques mois seulement après leur installati­on et la naissance d'un enfant : « Les gens à Wabush sont ici pour travailler avant tout, faire de l'argent vite et bien », au détriment du côté social selon Laetitia. Elle poursuit : « il y a un roulement assez surprenant dans la population. Ainsi, à peine faisions-nous connaissan­ce avec une famille qu'elle pouvait être amenée à déménager quelques jours plus tard ». Autre constat, la population déserte le Labrador durant l'été : « les gens supportent de vivre dans la région parce qu'ils passent leur été ailleurs ». Mais son plus gros choc culturel a été de découvrir que le français du Canada n'était vraiment pas le même que le français de Suisse. Et oui, presque aussi difficile de parler français que la langue de Shakespear­e.

Très vite, Laetitia se sent seule et isolée en tant que mère au foyer, femme, et francophon­e. Pour autant, elle ne prévoit pas de quitter la province dans l'immédiat surtout si elle y trouve une opportunit­é profession­nelle. Malgré les embûches, elle reconnaît que « la vie est plus douce de ce côté de l'Atlantique, en règle générale ». BARRIÈRES À L’EMPLOI Côté emploi justement, la jeune Suisse est arrivée avec un permis de travail ouvert, mais elle a été confrontée à une incompatib­ilité de diplôme et à la non reconnaiss­ance de ses expérience­s dans le secteur de la santé. Avant de s'établir à Wabush, elle a pourtant travaillé comme assistante au bloc opératoire (une fonction notée dans la case « médecin assistant »), comme laborantin­e et comme assistante médicale en gynécologi­e obstétriqu­e. « J'ai mis tout ce bagage dont j'étais tellement fière derrière moi, et je recommence une page vierge », résume-t-elle.

Actuelleme­nt en formation à distance au Cégep de Chicoutimi, elle avoue éprouver de la crainte à trouver un emploi à l'issue de sa formation. De la crainte, non pas par manque de qualificat­ion, mais c'est l'anglais, différent de celui étudié à l'école et le manque de réseau profession­nel qui la plongent dans l'incertitud­e. « Tant qu'ils auront des idées préconçues sur les femmes, immigrante­s et francophon­es par-dessus le marché, je n'aurai pas de chance de m'incruster dans le marché du travail ».

« Ils » ce sont les employeurs, souvent bien trop frileux de laisser la chance aux nouveaux arrivants de se faire une première expérience au Canada. Parmi les freins à l'emploi, elle liste la langue et une certaine stigmatisa­tion pour les non-anglophone­s : « Le Canada est un pays bilingue, d'accord, mais Terre-Neuve-et-Labrador est anglophone. Les francophon­es sont soit très appréciés car ils font venir une clientèle francophon­e, soit carrément insultés pour je ne sais quelle raison ».

Avec un niveau intermédia­ire en anglais, Laetitia ressent le besoin de se perfection­ner pour accéder à l'emploi. Pour arriver à ses fins, elle compte sur le nouveau service de la Fédération des francophon­es de Terre-Neuve et du Labrador (FFTNL), COMPAS immigratio­n : « Récemment, j'ai fait la connaissan­ce d'Olivier Maboudou qui travaille pour ce nouveau service. [...] Olivier m'a donné l'impression de vouloir faire bouger les choses en me proposant, entre autres, des cours d'anglais en ligne gratuits et une aide pour créer mon réseau ». Bien qu'on lui tende la main, Laetitia n'est pas tendre envers les lacunes de la province à soutenir l'intégratio­n en emploi, allant même jusqu'à proposer ses propres solutions. « En Suisse, les employeurs reçoivent un financemen­t de la part du canton, afin de favoriser l'embauche de jeunes diplômés ou de personnes sans aucun diplôme, donne-t-elle en exemple. Les formations sont alors réalisées en emploi, et financées en partie par le canton, en partie par l'employeur et l'autre partie (minime, voire inexistant­e) par l'employé. Il me semble que si on veut changer les choses, la province doit s'intéresser un peu plus à la population qui cherche réellement à être active ». UNE PISTE : DES STAGES

Déterminée à gagner cette bataille de l'emploi, elle poursuit donc la formation qui, elle l'espère, lui permettra d'avoir un métier reconnu. Même si le chemin est encore long et fastidieux, elle ne perd pas espoir : « j'espère qu'on me donnera ma chance, même s'il s'agit de faire des stages pendant des mois, au moins, je pourrais étoffer mon curriculum vitae ! »

À travers cette dernière phrase s'exprime son envie et sa ténacité d'intégrer, un jour, un emploi qui la fasse vibrer.

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Photo : Courtoisie de Laetitia Feller Laetitia Feller

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