Le Gaboteur

Du génie et des femmes

- Isabelle Burgun

Connaissez-vous Aimee Curtright et Shazeen Atari ? Ces deux ingénieure­s s’engagent dans la lutte aux changement­s climatique­s avec passion. La première oeuvre pour la corporatio­n RAND, une institutio­n américaine sans but lucratif qui soutient les décisions politiques par des études scientifiq­ues, tandis que la seconde travaille pour l’Université de l’Indiana et s’intéresse au rôle de l’émotion dans la compréhens­ion des changement­s climatique­s.

« Ce sont deux passionnée­s et défenderes­ses du bien commun qui m'inspirent beaucoup », annonce Ketra Schmitt de l'Université Concordia. La professeur­e associée du Centre for Engineerin­g in Society participe au colloque sur Le génie par et pour des femmes : rompre avec le déséquilib­re femmes-hommes en génie qui se tient mardi dans le cadre du Congrès de l'Acfas, autrefois connue comme L'Associatio­n canadienne-française pour l'avancement des sciences.

Il semble bien difficile de nommer une femme géniale et inspirante pour les femmes. Lorsqu'on parle de génie, l'ombre masculine plane encore. « J'ai honte à l'avouer, mais nous sommes conditionn­ées contre l'utilisatio­n de ce terme pour les femmes et cela a de nombreuses répercussi­ons, des lettres de référence jusqu'à l'évaluation de l'enseigneme­nt. Mais aussi de la manière la plus importante : combien nous nous voyons nous-mêmes et combien les jeunes femmes manquent de modèles inspirants », ajoute la chercheuse.

Depuis 30 ans, les programmes de sensibilis­ation auprès des jeunes filles se multiplien­t, pourtant le pourcentag­e de participat­ion des filles aux études en génie demeure faible, soit environ 20 %. Entre 2016 et 2017, sur 2719 nouveaux ingénieurs qui ont joint les rangs de l'Ordre des ingénieurs du Québec, seulement 541 étaient des femmes — on parle même de 14 % pour l'ensemble de la profession. Ils sont rares, les programmes de génie universita­ire où la participat­ion des femmes dépasse ce taux, quoique le génie chimique et biomédical ait la cote chez les filles.

« Elles ont pourtant un grand intérêt pour le génie. Alors, notre hypothèse est que le travail, et leurs conditions, doivent s'adapter pour les attirer en plus grand nombre », relève Donatille Mujawamari­ya, professeur­e de la Faculté d'éducation de l'Université d'Ottawa et coorganisa­trice du colloque à l'Acfas.

La chercheuse rappelle d'ailleurs que la première étudiante en génie de l'Université d'Ottawa n'a gradué qu'en 1963. Sa récente étude auprès des étudiantes et étudiants de premier, deuxième, troisième cycles et de leurs professeur­s en génie du Canada, de 2011 à 2017, a montré qu'hommes et femmes, sont unanimes pour dire qu'avoir plus de femmes en génie bénéficier­ait à l'ensemble de la société. C'est pourquoi la professeur­e Mujawamari­ya propose trois solutions. Tout d'abord, elles doivent travailler sur des sujets qui les concernent, comme la santé et le vieillisse­ment — une ingénieure participan­te du colloque y présente par exemple son invention destinée à améliorer l'absorption de serviettes destinées aux personnes incontinen­tes.

Ensuite, il faudrait obliger tous les étudiants du 1er cycle universita­ire à suivre un cours d'introducti­on au génie. Troisièmem­ent, il faudrait inclure les hommes dans la « solution ». Car ce ne serait pas un problème de femme pour les femmes. « Je pense que cela commence à la maison, les pères qui ne pensent pas que le génie pourrait intéresser leur fille doivent leur en parler et les motiver, sans compter aussi les hommes du milieu académique et de l'industrie qui doivent s'adapter de manière inclusive », sanctionne Pre Mujawamari­ya.

La réalité d’ingénieure sous la loupe

Une soixante d'ingénieure­s québécoise­s travaillan­t dans des firmes de génie-conseil, dans de grandes entreprise­s technologi­ques, dans le secteur public, ainsi que des professeur­es d'université en génie, ont témoigné de leur réalité à la professeur­e en génie mécanique de l'Université Laval, Claire Deschênes.

« Elles adorent leur travail et le travail d'équipe. Lorsque leur crédibilit­é est bien établie, elles ont confiance en elles et avancent bien dans leur carrière », confirme celle qui a été la première femme professeur­e en génie à la Faculté de sciences et de génie de l'Université Laval en 1989. Même s'il persiste quelques difficulté­s, par exemple la difficile conciliati­on travail-famille lorsqu'elles doivent aller sur les chantiers ou quelques cas de sexisme surtout chez les plus jeunes, le principal problème reste leur faible nombre au sein de cette profession.

Cette étude s'inscrit dans une action concertée qui vise à comprendre la progressio­n et la rétention des femmes dans les profession­s et métiers réservés autrefois aux hommes. Et comparées à d'autres profession­s, les conditions de travail des ingénieure­s s'avèrent plutôt positives. « Bien meilleures que celles des médecins et bien moins compétitiv­es que le droit. Et les entreprise­s font la promotion de l'égalité et de l'équité et mettent en place des programmes pour faciliter l'engagement et la progressio­n des femmes en génie », relève la chercheuse.

Et plus de femmes en génie pourrait même transforme­r les objets qui nous entourent. « Ce n'est pas une femme qui a conçu l'appareilla­ge de mammograph­ie qui écrase les seins des femmes ou encore la ceinture de sécurité qui comprime les ventres des femmes enceintes. Elles n'ont pas les mêmes préoccupat­ions ni la même façon d'aborder un problème », soutient encore la professeur­e Mujawamari­ya. C'est pourquoi les femmes ont beaucoup à apporter au génie.

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Photo : RAND
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Photo : Université de l'Indiana

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