Controversé feu vert pour l’aquaculture de saumon
La baie de Plaisance grouillera bientôt de saumons d’élevage. Le 14 septembre, la compagnie Grieg NL célébrait en effet à Marystown le lancement officiel de son projet d’aquaculture : ses 11 cages produiront 33 000 tonnes de saumon annuellement (à savoir environ 6,6 millions de saumons de 5 kg). Elles seront complétées, sur la terre ferme, d’une écloserie permettant de produire les alevins destinés à être engrossés.
Le projet coûtera au total environ 250 millions de dollars. Grieg NL en investira 210 millions, le gouvernement fédéral 10 millions, et le gouvernement provincial fournira les 30 millions restants. Entre 300 et 800 emplois seront créés, selon les estimations.
Or, le projet de Grieg NL ne fait pas l'unanimité dans la province et a donné lieu à de nombreux rebondissements. Parmi ses détracteurs, la Fédération du Saumon Atlantique, qui a fait des pieds et des mains pour que ce promoteur soumette son projet à une étude d'impact environnemental complète.
Le gouvernement avait libéré l'entreprise de cette obligation en 2016, une décision que la Fédération du saumon atlantique avait contestée au tribunal, avec succès. En 2017, la Cour suprême de Terre-Neuveet-Labrador ordonnait que le projet de Grieg NL soit soumis à une étude d'impact environnemental, lui octroyant trois ans pour le faire.
Le gouvernement a porté cette décision en appel à la fin de décembre 2017 tout en exigeant que Greg NL produise une étude d'impact. Alors que le tribunal avait accordé trois ans pour réaliser une telle étude, Greg NL a déposé au gouvernement provincial une étude complétée en deux mois et demi. Ses résultats et les engagements de la compagnie ont été jugés suffisants par le gouvernement provincial, qui a donné le feu vert au lancement du projet… pendant que la Cour d'appel de la province étudiait encore le dossier.
Le jugement de ce tribunal est tombé le 14 septembre dernier. Le panel des trois juges qui ont examiné l'appel du gouvernement provincial et de Greg NL l'ont rejeté et confirmé l'ordre donné au gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador par la Cour suprême de la province d'attendre les résultats d'une telle étude avant de prendre une décision dans ce projet.
Ironiquement, c'est le jour même de dévoilement de ce jugement de la Cour d'appel que le projet a été officiellement lancé à Marystown, chef lieu de la baie de Plaisance. « Des développements significatifs en aquaculture, en extractions pétrolière et minière et dans d'autres secteurs ont lieu à Terre-Neuve-et-Labrador, démontrant l'immense potentiel de développement économique de notre province. Ces nouveaux développements ont été rendus possibles par notre partenariat avec des acteurs de l'industrie, en vue de faire de notre province un endroit idéal pour investir et développer ses activités », s'est réjoui le premier ministre Dwight Ball.
Accusation de conflit d’intérêts
Selon la Fédération du saumon atlantique, le partenariat entre Grieg NL et le gouvernement provincial créent une situation ubuesque dans laquelle le gouvernement se retrouve à la fois juge et partie. « L'autorisation de lancement de ce projet n'est pas surprenante, étant donné le conflit d'intérêts né du fait que le gouvernement provincial joue à la fois le rôle d'organe de réglementation, de preneur de décision et maintenant d'investisseur dans la compagnie Grieg, estime le président de la Fédération du saumon atlantique, Bill Taylor. L'annonce faite dernièrement que le gouvernement achètera des actions dans l'entreprise est un signal clair que l'évaluation [de l'étude d'impact environnemental] n'a pas été impartiale. » En juin 2018, la Fédération du saumon atlantique avait pointé les déficiences de l'étude d'impact environnemental soumise par Grieg NL, estimant qu'elle ne remplissait pas les conditions de base des directives sur les études d'impact environnemental et la qualifiant de superficielle. Elle reprochait entre autres à Grieg NL de ne pas avoir mené les recherches demandées, critiquant notamment l'absence totale de recherches sur le terrain pour étudier les saumons sauvages de la baie de Plaisance, et de n'apporter aucune preuve que les poissons élevés seront absolument stériles et incapables de se reproduire avec des saumons sauvages.
La Fédération du saumon atlantique reconnaît cependant avoir obtenu satisfaction sur quelques points, notamment sur le marquage des saumons élevés par l'entreprise afin qu'ils puissent être identifiés en cas de fuite.
Elle a annoncé le 13 septembre vouloir faire appel de la décision du gouvernement et lui demander de reconsidérer sa décision. Mais en attendant, le projet semble lancé.