Ce déversement pétrolier qu’on ne voit pas…
Dans la foulée du plus important déversement de l’histoire pétrolière terre-neuvienne, des voix nombreuses réclament des mécanismes de surveillance indépendants de l’industrie.
Le 16 novembre dernier, 250 tonnes de pétrole se sont déversées dans l'océan au large de Terre-Neuve, l'équivalent de 1572 barils ou encore de 250 000 litres. Le déversement s'est produit après « une perte de pression sur une conduite sous-marine » reliant la plateforme South White Rose et le pétrolier Sea Rose du groupe Husky Energy, à 350 km au sudest de St. John's, explique un communiqué du régulateur gouvernemental de l'industrie, l'Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers (CNLOPB).
Le déversement est survenu alors que Husky Energy était en train de reprendre la production après la violente tempête qui a secoué la province le 15 novembre. Les autres plateformes pétrolières de la zone étaient toujours à l'arrêt vu la force des vagues. En raison du mauvais temps, aucune mesure de confinement n'a pu être entreprise.
Il s'agit du plus gros déversement de pétrole de l'histoire de l'industrie pétrolière terre-neuvienne. Pourtant, si l'événement a été assez largement rapporté les premiers jours par les médias provinciaux et nationaux, qui ont notamment rappelé qu'Husky Energy a déjà été réprimandé en 2017 pour sa mauvaise gestion des risques, depuis, c'est silence radio ou presque.
Des oiseaux mazoutés
En effet, le déversement semble pour l'instant demeurer principalement sous-marin. Les observations aériennes et marines indiquent que le pétrole se disperse. Et, comme le constatait l'historien Robert Sweeny au micro de l'émission Regard 9 sur Radio-Canada le 23 novembre, l'absence de marée noire visible fait « que les gens ne sont pas aussi perturbés qu'on pourrait le penser ». De même, au moment de la mise sous presse, le 28 novembre, seuls 18 oiseaux mazoutés avaient été retrouvés, ce qui peut donner l'impression que l'événement est relativement mineur.
Pour la biologiste de l'Université de York Gail Frazer, citée par le quotidien The Globe and Mail, « le fait qu'on ait trouvé quelques oiseaux mazoutés signifie probablement qu'il y a beaucoup d'oiseaux mazoutés dans la zone ». En effet, des millions d'oiseaux marins traversent la région en cette saison, et les précédents déversements de pétrole ont débouché sur des milliers de morts d'oiseaux.
Cependant, si le grand public ne semble pas particulièrement concerné, au niveau du gouvernement, des milieux pétroliers et des milieux environnementaux, le déversement de Sea Rose interroge. Comment expliquer que les opérations de production pétrolière aient repris malgré les conditions météo? Pour Robert Sweeny, il semble « qu'on laisse ces décisions qui peuvent être désastreuses à un gérant qui est sans doute sous pression pour assurer le maximum de profit pour l'entreprise ». Certains politiciens partagent cette opinion.
Le lundi 19 novembre, la chef du Nouveau Parti démocratique de Terre-Neuve-et-Labrador Gerry Rogers demandait ainsi au premier ministre de Terre-Neuve Dwight Ball si son gouvernement songeait à créer une agence de réglementation indépendante pour l'industrie du pétrole extracôtier, afin d'obliger les pétrolières à donner la priorité à l'environnement plutôt qu'aux profits.
Législation dépassée
En effet, les critiques accusent le CNLOPB de « s'en remettre aux désirs des pétrolières sur de nombreux fronts », comme le résume CBC, notamment quand la météo est mauvaise. Husky Energy n'avait en effet aucune obligation d'attendre un quelconque feu vert du CNLOPB pour relancer sa production. Pour Bob Cardigan, ancien directeur de la NOIA, l'association des industries pétrolières et gazières de Terre-Neuve-et-Labrador cité par CBC, la législation utilisée pour régler ces questions est « terriblement dépassée ».
« Nos dirigeants clament qu'il s'agit d'une réglementation de classe internationale », remarque Gretchen Fitzgerald, la directrice nationale des programmes de la Fondation Sierra Club Canada sur le site de iPolitics. « Je pense que ce déversement de pétrole montre que nous sommes loin de ce standard… Une centaine de nouveaux puits sont prévus dans la région. Nous ne pouvons pas nous permettre de continuer ainsi quand il y a autant en jeu. »