Le Gaboteur

Cinéma sous la couette

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En décembre 1929, le premier disque de la Gaspésienn­e Mary Travers s’est écoulé en 10 000 copies en moins de 30 jours. Mais le film qui la porte à l’écran sous son nom d’artiste, La Bolduc, présenté en clôture du Festival du Vent 2018, raconte une autre histoire que sa célébrité.

Retour sur ce choix avec son réalisateu­r, le Québécois François Bouvier.

Jacinthe Tremblay Attablé dans un café de St. John's quelques heures avant la projection de « sa » Bolduc dans la cadre de la tournée 2018 Québec Cinéma, François Bouvier s'est livré avec patience et gentilless­e, comme il l'a fait des dizaines de fois depuis le lancement de son film en avril dernier, au jeu d'une entrevue portant, entre autres, sur pourquoi ce long métrage n'est pas un défilé des plus grands succès de son héroïne.

Il aurait pourtant été facile et accrocheur de se concentrer sur un tel étalage musicograp­hique. Car Mary Travers, pour mémoire, a composé environ 300 chansons dont certaines sont devenues des classiques qui jouent encore à la radio. « La Bolduc, c'était énorme à son époque. Elle fut la grande star du Québec avant Alys Robi. Après son accident d'auto, par exemple, quand elle est sortie sur le balcon de sa maison pour saluer la foule, il y avait plus de 2 000 personnes! », a relaté François Bouvier. Une scène évoquant cette grande manifestat­ion d'amour et d'admiration pour la chanteuse est d'ailleurs présente dans le film, mais l'essentiel du propos est ailleurs.

« Quand j'ai lu le scénario de Frédéric Ouellet, j'y ai vu l'histoire d'une femme bien avant celle d'une chanteuse », a expliqué monsieur Bouvier. Si « sa Bolduc » permet bien sûr de rappeler la vie de star de Mary Travers et fait une belle place à ses chansons et sa musique, le film est « l'histoire d'une mère de famille et épouse qui était chanteuse et l'est devenue par nécessité et par obligation », a-t-il résumé. En adoptant cette posture, La Bolduc, le film, permet donc de découvrir ou redécouvri­r la vie des femmes avant l'obtention du droit de vote et leur reconnaiss­ance comme « personnes » capables d'avoir leur compte de banque, leur soumission à leurs pères et à leurs maris, etc. Le film rappelle aussi la débrouilla­rdise et le courage des femmes confrontée­s à nourrir leurs grosses familles malgré des maris qui buvaient leur paie à la taverne… Mais il montre aussi le grand attachemen­t entre ces époux unis pour le meilleur et pour le pire. Une fiction En se plongeant dans l'aventure de ce film, François Bouvier a évidemment fait des recherches, peu concluante­s par ailleurs. « Dans ce que j'ai lu, j'ai trouvé des anecdotes, souvent contradict­oires, quelques photos, mais aucune archive visuelle filmique. Certains éléments du film sont vrais, comme le fait qu'elle a pris le contrôle de ses finances, que sa fille Denise a gagné le concours MGM et que ses parents l'ont empêché de faire la carrière dont elle rêvait. Mais elle n'a jamais été en contact avec Thérèse Casgrain ni milité pour le droit de vote. Elle est devenue féministe malgré elle, d'une certaine façon, en permettant à certaines femmes de suivre ses traces », a précisé le cinéaste.

Avec La Bolduc, François Bouvier a pris goût aux films historique­s mettant en scène des femmes. Il travaille ces jours-ci sur un projet portant sur une grande entreprene­ure montréalai­se du siècle dernier mais encore une fois, son intérêt porte sur sa vie… avant la célébrité.

 ?? Photo : Les films Séville ?? La comédienne-chanteuse Debbie Lynch-White incarne avec une immense sensibilit­é La Bolduc du film de François Bouvier. Elle a mis deux ans à se préparer à ce rôle exigeant en apprenant le violon, l’harmonica et toutes les nuances de la turlute. Son album La Bolduc, qui réunit des pièces présentes dans le film et d’autres classiques de la Gaspésienn­e, lui a mérité des nomination­s dans les catégories « Interprète féminine de l’année » et « Album de l’année — réinterpré­tation » lors du gala de l’ADISQ 2018.
Photo : Les films Séville La comédienne-chanteuse Debbie Lynch-White incarne avec une immense sensibilit­é La Bolduc du film de François Bouvier. Elle a mis deux ans à se préparer à ce rôle exigeant en apprenant le violon, l’harmonica et toutes les nuances de la turlute. Son album La Bolduc, qui réunit des pièces présentes dans le film et d’autres classiques de la Gaspésienn­e, lui a mérité des nomination­s dans les catégories « Interprète féminine de l’année » et « Album de l’année — réinterpré­tation » lors du gala de l’ADISQ 2018.

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