La lumière et ses ombres
Au moment d'écrire ces lignes, nous rentrons dans ce que les catholiques appellent le temps de l'Avent: une période de préparation spirituelle en vue de Noël. Une période où les noirceurs s'épaississent et nous confrontent à la fragilité de nos existences. Cette année, cette symbolique ténébreuse est d'autant plus frappante qu'elle nous renvoie directement à notre actualité et ses obscurités: pandémie, précarité, détresse psychologique, crises économique et écologique.
Bien entendu, le temps de l'Avent nous plonge dans les ténèbres pour mieux nous en sauver, puisque ce temps ouvre sur l'espoir et la lumière. «Noël,» du latin natalis qui veut dire «naissance». Les ténèbres sont épaisses et lourdes, mais la figure de l'enfant est là pour nous rappeler à la plénitude de l'espoir.
Ainsi, le temps de Noël approche et d'une manière presque spontanée, nous nous accrochons à toute lumière que nos yeux sont en mesure de déceler; que cette lumière soit celle d'un feu de joie ou d'une luciole.
L’ESPOIR AU BOUT D’UNE SERINGUE
Dans les dernières semaines, les grands médias nous ont permis de voir la proverbiale lumière au bout du tunnel alors que différentes compagnies étaient très optimistes quant au vaccin qu'elles sont en train de développer. Efficacité de 90%, 94%, 95%... La Presse annonçait finalement le 30 novembre que «Le vaccin de Moderna [était] efficace à 100%». On pouvait suivre les progrès et les réussites de la science dans les journaux en direct, ou presque.
Bien entendu, l'espoir que suscitent ces progrès n'est qu'un élément parmi d'autres. Si 74% des répondants à la question du jour de VOCM du 29 novembre affirmaient vouloir être vaccinés contre la COVID-19, un sondage pancanadien publié le même jour suggérait quant à lui que les Canadiens étaient «de moins en moins confiants à l'égard du vaccin obligatoire», passant de 72% au mois de mai à 59% au mois de novembre.
Entre ces deux sondages, il y a bien sûr une différence essentielle; entre vouloir être vacciné et devoir l'être. Le sondage national nous indique cependant qu'il y a aussi une différence, un écart, entre la disponibilité d'un vaccin et son usage et ses effets. Surtout que beaucoup de Canadiens, malgré leur accord avec l'idée d'un vaccin obligatoire, entretiennent certaines craintes quant à l'efficacité du vaccin, ses effets secondaires à moyen et long termes, etc. Des craintes qui peuvent se creuser jusqu'au point de croire que la pointe d'une aiguille est de fait la pointe d'un iceberg complotiste.
Le vaccin qui se voulait de prime abord une lumière certaine est en quelque sorte tamisée, claire et obscure à la fois. Le tunnel nous menant vers elle est peut-être plus tortueux que nous voulons bien le croire.
L’ENFANCE ET SES INQUIÉTUDES
Or, même si le vaccin nous permettait de retrouver une certaine normalité en nous permettant d'atteindre cette fameuse «immunité collective,» cette lumière demeure traversée par des zones d'ombre. Soulignons une de ces zones d'ombre, celle qui concerne l'éducation.
Nos enfants ont manqué de trop nombreuses semaines d'école au début de la pandémie. Des semaines trop longues pendant lesquelles ils furent coupés de leur cercle d'amis, isolés et rivés sur leurs (nos) écrans, engendrant anxiété dans les meilleurs des cas et détresse psychologique dans les pires.
Lorsque les différents gouvernements permirent la reprise des cours, cette anxiété fut redoublée dans la mesure où cette pause forcée avait poussé plusieurs (beaucoup) dans une situation de retard pédagogique qu'il fallait rattraper à une vitesse grand V; et ce, dans des conditions d'apprentissage pas du tout évidentes - ni pour les élèves, ni pour les enseignants d'ailleurs.
Sans compter les difficultés de beaucoup à s'adapter à l'apprentissage en ligne, à s'adapter au manque d'encadrement de cet apprentissage, les difficultés d'accès à un réseau Internet fiable...Un rapport publié à la fin novembre relatait que le problème déjà important de l'absentéisme à l'école dans la province s'était radicalisé avec la pandémie1.
Les effets de ce retard, de ces difficultés d'adaptation, de ces phénomènes d'abandons scolaires (qu'ils soient intermittents ou définitifs) ne peuvent pas cependant être traités par un vaccin. Un ami enseignant au secondaire me disait qu'il va devoir «réparer les pots cassés par la COVID» pour au moins les cinq prochaines années. Des retards pédagogiques qui vont se propager, possiblement s'accumuler, d'année en année; qui vont fragiliser pour beaucoup d'élèves ce lien les rattachant à l'école et à ses promesses d'émancipation et de succès social.
La figure de l'enfant, qui était figure d'espoir, est aussi figure d'inquiétude; une figure inquiète et inquiétante. C'est ça, aussi, la crise.
LA LEÇON DE L’AVENT
Bien entendu, l'idée en écrivant ces lignes n'est pas de noircir le portrait pour le plaisir ou pour vous convertir au pessimisme. Ce serait inutile de le faire, puisque le pessimisme, comme le disait le philosophe Alain, n'est rien de plus qu'une humeur. J'ai mes humeurs et vous avez les vôtres.
Je voulais seulement en quelque sorte assagir cette tendance, spontanée en ce temps de Noël, à rechercher des lumières pour faire face aux ténèbres qui nous entourent; une tendance qui peut facilement faire de nous des hallucinés dans le noir.
Mais le temps de l'Avent nous offre aussi une leçon: que nous ne devons pas tant chercher les lumières, mais chercher, nous, à devenir lumineux. De faire en sorte que nos gestes deviennent sources de lumières pour autrui: un geste de gentillesse et de patience pour contraster avec la folie du temps des fêtes; des actes de bénévolat pour donner un coup de main aux banques alimentaires qui sont en forte demande plus que jamais; sortir les personnes âgées de leur isolement.
Peut-être peut-on aussi donner une traduction politique à l'aphorisme complet d'Alain: «Si le pessimisme est d'humeur, l'optimisme est de volonté». C'est-àdire, interpeller la classe politique afin que notre système d'éducation ait les ressources nécessaires pour faire face à l'après-crise.
Joyeux Noël à toutes et à tous.