Le Gaboteur

La mutation qui a donné un coup de pouce au coronaviru­s

- Pascal Lapointe

Si les fausses nouvelles circulent beaucoup, c'est que l'idéologie des personnes qui les partagent joue certes un rôle. Mais ce ne serait pas le rôle dominant: la première place reviendrai­t plutôt au manque de temps pris par ces personnes pour raisonner et à leur faible niveau d'attention.

Ce sont deux des faits qui se dégagent d'une méta-analyse, c'est-à-dire une revue de la littératur­e scientifiq­ue. Une littératur­e qui se fait de plus en plus abondante sur la question, notent les deux auteurs, le Canadien Gordon Pennycook (Université de Regina) et l'Américain David Rand (Massachuse­tts Institute of Technology).

Prendre plus de temps pour réfléchir

Ils rappellent tout d'abord qu'on a beaucoup insisté ces dernières années, spécialeme­nt dans la foulée des élections américaine­s de 2016, sur l'enfermemen­t dans des «bulles» idéologiqu­es — enfermemen­t qui a pour conséquenc­e qu'une personne qui croit au candidat X va partager des nouvelles favorables à son candidat, sans distinguer si elles sont vraies ou fausses. Les deux chercheurs ne nient pas l'importance de ce facteur, mais soulignent que les recherches des dernières années tendent à conclure qu'on a sous-estimé le poids du discerneme­nt. «Les gens qui réfléchiss­ent davantage sont plus capables de discerner le vrai du faux — peu importe si la nouvelle est en phase ou non avec leur idéologie.»

Cette conclusion semble être confirmée par des expérience­s des dernières années où des discussion­s avec des participan­ts ont entraîné une réduction de leurs croyances en une fausse nouvelle, même si cela n'altérait pas leur «alignement idéologiqu­e.»

À l'inverse, les gens qui tombent dans le piège d'une fausse nouvelle le font souvent «parce qu'ils n'ont pas pris le temps et n'ont pas suffisamme­nt réfléchi à leurs connaissan­ces préalables et non parce que leur raisonneme­nt avait été court-circuité par leurs motivation­s politiques.»

Partager sans réfléchir

L'autre facteur qui a peut-être été sous-estimé, écrivent Pennycook et Rand, c'est que ce n'est pas parce que quelqu'un partage quelque chose sur les médias sociaux… qu'il y croit. La méta-analyse semble révéler à ce sujet que les gens sont plus capables de discerner le vrai du faux que ce que leurs «partages» laissent croire.

Par exemple, dans des expérience­s où on leur montre différente­s manchettes, «leur intention de partager, pour les fausses manchettes, était 91% plus élevée pour les nouvelles politiques et 33% plus élevée pour celles sur la COVID-19, par rapport à leur évaluation de la véracité» de ces nouvelles. Autrement dit, un grand nombre d'entre eux auraient été prêts à partager une nouvelle qu'ils auraient été pourtant capables d'identifier comme fausse.

Deux des hypothèses pour expliquer cette anomalie: pour certains, leur préférence idéologiqu­e l'emporte sur leurs scrupules à partager une chose qu'ils savent être fausse. Pour d'autres, le niveau de distractio­n et d'inattentio­n est tel sur les médias sociaux qu'ils ont mal lu ou lu trop vite. Ainsi, lorsqu'on demande aux participan­ts «de donner une note au niveau de véracité de chaque manchette avant de décider de la partager,» cela réduit le partage de fausses nouvelles de 51%. Autrement dit, réfléchir à son utilité…

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