PLONGÉE DANS L’UNIVERS DU PHOQUE
Les appels fusent sur la ligne téléphonique de l'émission Cross Talk de CBC, animée chaque midi par la journaliste Ramona Dearing. Le coeur du débat à la radio le 18 mars dernier? La taille de la population de phoques, et plus particulièrement les phoques du Groenland, qui sont estimés à 7,6 millions d'individus. Parmi ces appels, de nombreux pêcheurs en colère qui estiment que les gouvernement provincial et fédéral doivent prendre des actions concrètes pour réduire cette population abondante.
Une image a notamment relancé le débat autour de l'abondance des phoques au large de la province en mars dernier. L'estomac de six phoques barbus, ouverts par un pêcheur et transformateur de poisson dans la communauté de Fleur-de-Lys, révèle des restes de crabes, de crevettes et de pétoncles. L'argument qui accompagne cet acte: les phoques seraient la cause de la diminution de certains stocks de poissons - notamment les stocks de capelans et de morues atlantique - et des crustacés. Une menace pour les pêcheries de la province?
Un abattage de phoques?
Il n'en fallait pas plus pour que l'enjeu devienne politique. «Autrefois, c'était les humains qui mangeaient les phoques. Maintenant, ce sont les phoques qui mangent les humains – ou du moins, ils mangent leur gagne-pain », déclarait dans une entrevue à CBC le candidat conservateur, Ches Crobie, qui a finalement perdu son siège à l'élection provinciale le 27 mars dernier.
Ce dernier a évoqué l'idée d'un abattage de phoques pour réguler leur population, idée qui est partagée par d'autres dans la province. Ainsi, un abattage sélectif permettrait-il de protéger les stocks de poissons comme le capelan et la morue? La situation est plus complexe qu'elle n'y paraît. Pour commencer, les phoques dont l'estomac a été ouvert sont des phoques barbus, une espèce relativement rare ici selon Garry Stenson, chercheur scientifique et chef de la section des mammifères marins à Pêches et Océans Canada. Il y a en fait six espèces présentes dans les eaux de la province. Chacune a une population et un régime alimentaire qui lui est propre, et leur impact sur chaque stock de poissons diffère.
D'après le chercheur, chaque situation est spécifique et doit être analysée séparément et localement. Ainsi, d'autres facteurs - tels les taux de mortalité et de recrutement, la nourriture disponible, les changements climatiques et les autres prédateurs - doivent être pris en compte lorsqu'on souhaite analyser, par exemple, l'incidence du phoque du Groenland sur les populations de morue ou de capelan par exemple. Pour ce qui est du phoque gris, les scientifiques ont ont tout de même observé que sa prédation peut avoir un impact allant jusqu'à 50 % sur la mortalité naturelle de la morue franche présente dans certaines zones précises du Golfe. Le syndicat Fish, Food & Allied Workers (FFAW) a lancé une pétition début mars afin que que le gouvernement fédéral agisse pour contrôler la population de phoques, en particulier de cette espèce et du phoque du Groenland.
Manque de marché
La question qui se pose également avec l'idée de contrôler cette population est celle du manque de marché autour du phoque. Moins de 20 % du quota de phoques autorisé a été chassé ces dernières années. En l'absence d'une plus grande demande locale et surtout mondiale pour les produits dérivés de la chasse commerciale, serait-il justifiable d'abattre des individus d'une espèce pour pouvoir éventuellement en pêcher plus d'une autre? Les avis sont aujourd'hui très partagés.