Dans «la cabane» d’une traductrice
Qui dit printemps, dit fonte des glaces. Alphonse, le personnage principal du livre La Cabane, publié aux éditions néo-brunswickoises Bouton d’or Acadie, se retrouve par mégarde à la dérive sur un morceau de glace. Jocelyne Thomas s’est chargée de la traduction de ce livre jeunesse pour la maison d’édition terre-neuvienne Breakwater Books. Rencontre avec la francophone Terre-Neuvienne à l’origine de la version anglaise The Ice Shack.
Ce sont tous ses «autres chemins» qui ont mené Jocelyne Thomas à se lancer dans la traduction de livres pour enfants il y a un an. Pigiste, éditrice, rédactrice, réviseure, folkloriste, chercheuse pour une série télévisée française, cette amoureuse des mots a accepté avec enthousiasme ce nouveau défi. «L'anglais et le français sont deux langues qui me tiennent à coeur. […] Dans mon travail de réviseure, mon rôle est de clarifier le message des autres. C'est un peu la même chose de faire de la traduction, il faut clarifier le message d'un auteur, mais dans une autre langue», observe-t-elle.
Sa première expérience avec des livres pour enfants a été de traduire, donc de «clarifier», en anglais le livre La Cabane, de l'auteure Katia Canciani. «Je parle anglais et français, et ma mère m'a toujours parlé en français à la maison, mais ma langue maternelle reste l'anglais, car je suis née à Terre-Neuve. Ma mère m'a beaucoup appris en traduction, notamment que la traduction se fait le plus souvent vers sa première langue. Donc pour moi, vers l'anglais.» Sa mère n'est autre que Mireille Thomas, une Franco-Terre-Neuvienne d'adoption surtout connue pour son engagement dans les organismes francophones de la province, mais également traductrice et interprète. De sa mère originaire de Marseille, Jocelyne Thomas a hérité de l'accent chantant du Sud. Comment se qualifie cette dernière? Française? Anglophone? Elle fait partie de la première génération de sa famille née à Terre-Neuve et se considère franco-terre-neuvienne et fière de l'être.
Les chaleurs du Sud ne doivent en tout cas pas dire grand-chose à Alphonse, le personnage principal de La Cabane. Ce pêcheur attend en effet avec impatience l'arrivée de l'hiver et du froid pour pouvoir s'installer sur la glace dans sa belle petite cabane à pêche rouge, qu'il a construite de ses propres mains. Et pourtant, une fois sur la glace, aucun poisson ne mord à l'hameçon. Il est tellement déterminé à attraper quelque chose qu'il ne s'aperçoit pas que le printemps arrive: Alphonse se retrouve alors à dériver dans l'océan sur un bout de glace. Il sera finalement sauvé par une baleine et son aventure rocambolesque lui vaudra le prix du meilleur conteur.
Le conte est justement un genre avec lequel Jocelyne Thomas, étant également formée en études folkloriques , est bien familière. «Cette histoire s'inscrit dans la tradition du conte. Comme un conte, on la raconte le soir avec les enfants. Il fallait rendre ce côté oral et très vif dans la traduction anglaise. […] Quand j'étais enfant, j'ai connu Émile Benoit, il était ami avec mon père, et je l'ai souvent entendu conter. Il passait du français à l'anglais en plein milieu de ses histoires. J'ai donc vu la tradition vivante du conte, de l'histoire racontée», se souvient la traductrice.
Elle s'est également appliquée à reproduire le langage fluide et rythmé du français pour évoquer la dérive d'Alphonse sur son bout de glace, tout en tenant compte des techniques de narration, telles les répétitions, utilisées spécifiquement avec ce type de lecteurs, les enfants de 4 à 7 ans. Comment traduire le juron familier «Sapristi !» utilisé souvent par Alphonse? «J'ai opté pour Jumpin' jibberin', une expression dont la musicalité se rapproche de celle de l'anglais de
Terre-Neuve-et-Labrador, bien que ce ne soit pas une expression spécifique à ici», raconte la traductrice.
Pas question en effet de «terre-neuviser» la version anglaise en utilisant des termes anglais spécifiquement terre-neuviens, qui connoteraient l'histoire culturellement. «Un lecteur anglophone, de Grand-Bretagne par exemple, doit pouvoir lire l'histoire sans être choqué par des expressions anglaises qu'il ne comprendrait pas», explique Jocelyne Thomas.
L'histoire, écrite par une auteure québécoise, n'est cependant pas située dans un lieu en particulier au Québec. La pêche sur glace, les cabanes à pêche, la fonte des glaces ou encore les baleines font partie de la réalité de beaucoup de Canadiens, notamment à Terre-Neuve-et-Labrador. Le récit d'Alphonse et les magnifiques illustrations de Christian Quesnel qui l'accompagnent parleront donc tout autant à l'imaginaire des enfants terre-neuviens qu'à celui des Québécois.
Katia Canciani, qui a rencontré Jocelyne Thomas pour la première fois lors d'une lecture virtuelle croisée, s'est dit très contente du résultat. «Quand elle m'a entendu lire la version anglaise, elle m'a dit que mes mots en anglais rendaient exactement le sens de son histoire», se réjouit Jocelyne Thomas.
La Cabane, histoire de Katia Canciani, illustration de Christian Quesnel, aux éditions Bouton d’or Acadie, 2019.
La version anglaise The Ice Shack, traduite par Jocelyne Thomas, est disponible aux éditions terre-neuviennes Breakwater Books.