Quelques notes sur les vacances
Dès l’enfance, mon idée de ce qu’est l’été s’est construite à partir d’un certain nombre d’expériences et de souvenirs que, par chance, je peux dire heureux. La fin des classes. La possibilité de se lever à l’heure qu’on veut, de se coucher (à peu près) à l’heure qu’on veut. La joie de pouvoir flâner à vélo, de s’arrêter sur le bord d’une rivière quelconque, de regarder l’éclat du soleil sur ses vagues plus ou moins tranquilles. La jouissance passive de se laisser alourdir par les grandes chaleurs. Ralentir. Les vacances, quoi.
Les vacances. Si on s'y intéresse, l'histoire du mot «vacances» nous renvoie à la vacuitas, à la vacuité, au vide, à l'absence de quelque chose. Si la vacuité d'une phrase indique son absence de sens, la vacuité de l'humain renvoie à son absence d'activité. Les vacants sont ainsi ceux qui ont le loisir de n'avoir rien à faire. Leurs jours vacants passent au rythme absent des obligations qu'ils n'ont pas. Le paradigme de cette vacance, on le retrouve bien sûr au tout début de la Bible, où Dieu, après avoir créé le monde, devient
vacant: «Il se reposa au septième jour de toute son oeuvre, qu'Il avait faite»1.
Ce rythme de l'absence, on peut l'appeler liberté. Et cette liberté rime ici avec libération: l'enfant est libéré de ses obligations scolaires; l'adulte, lui, libéré des obligations liées à son travail. Dans tous les cas, cette liberté repose sur un jeu comptable de transfert: faire le vide d'obligations, c'est faire le plein de liberté.
DU REPOS À L’ACTIVITÉ
L'histoire du mot «vacances» nous éloigne cependant et aussi de ces oscillations entre le vide et le plein et nous amène à la question de la disponibilité. Car «vacant» veut dire «inoccupé», veut dire «disponible», que l'on parle d'un espace, d'un appartement ou d'une personne.
Or tout dépend de ce que veut dire «disponible», surtout lorsqu'on parle d'une personne. Une personne disponible l'est
pour faire ceci ou cela: qu'il s'agisse d'aller prendre un café, d'écouter la dernière mésaventure amoureuse d'une amie, ou de «faire toutes ces choses pour lesquelles normalement le temps nous manque».
Faire ceci ou cela. On peut commencer à voir une espèce de tension au coeur même de la vacance: entre le vide et l'inactivité d'un côté et la disponibilité à l'activité de l'autre; entre le repos et l'affairement. La vacance désigne à la fois ce besoin et cette vertu du repos, et cette volonté de faire autre chose, d'agir à l'extérieur du cadre de nos obligations quotidiennes, d'en profiter.
Et l'équilibre entre les deux n'est pas toujours évident. Combien de fois n'a-t-on pas entendu un ami se plaindre qu'il était plus fatigué après ses vacances qu'il ne l'était avant de partir? Le penseur Theodor Adorno, dans un petit texte sur le temps libre, observait que le temps libre commençait à se transformer en son contraire sous l'impulsion d'un devoir: celui de pleinement
profiter, justement, de ses temps libres. Sorties, voyages, road trips, fêtes. Enchaîner les événements afin de remplir ce temps libre qu'il ne faut surtout pas gaspiller.
Adorno y voyait là une forme de colonisation du temps libre par la logique productiviste qui règne par ailleurs dans la sphère du travail. Le temps libre auquel on impose un impératif: faire, faire, faire. Surtout que ces loisirs nous sont rendus disponibles et sont produits à travers les mécaniques de l'industrie et de la mise en scène de soi et de sa vie sur les médias sociaux.
Bref, du temps libre, certes, mais un temps libre qui doit être utilisé d'une manière qui demeure profitable économiquement.
L’ÉTÉ DES POSSIBLES
L'été, cependant, qui s'ouvre ne sera pas comme les autres. Le jeu mentionné plus haut entre le plein et le vide sera inversé; notamment au Québec2, alors que le couvre-feu est levé depuis peu et que grâce à la vaccination le déconfinement progresse. Le vide social de l'hiver confiné, on voudra le remplir, le compenser, rattraper le temps perdu; avec raison.
Multiplier les rencontres dans les parcs et sur les terrasses, les sorties au musée et au cinéma, les voyages à travers la province. Après le désert social des derniers mois, les occasions de rapprochements, de rencontres entre des corps qui se désirent, de danse sur les tables à pique-nique, seront à l'honneur.
Quitte à oublier, peut-être, que «le temps et la lenteur sont aussi des besoins». Quitte à oublier que l'ennui a sa richesse et l'oisiveté, ses vertus: celle de devenir disponible à notre monde; celle de devenir attentif aux beautés de la nature, à la joie secrète d'un silence qui unit deux êtres plus qu'on pourrait le croire, au mot échappé par un inconnu qui porte sans le savoir la puissance d'un poème. Il y a là des chemins d'expérience à tracer qui échappent au risque et à la frénésie du trop-plein.
Bon été à toutes et à tous.