Le Gaboteur

«Et si on ne retournait pas?»

- Coline Tisserand De l’atelier à l’entreprise Des visites au déménageme­nt Utiles, élégants et uniques En déséquilib­re Thalassoth­érapie

Derrière les produits en bois de l’entreprise terre-neuvienne Creative Wood Design se cachent Natalie Binette, un nom qui sonne étrangemen­t francophon­e. Et pour cause: cette ébéniste, installée à Long Beach – une communauté proche à 40 km de Clarenvill­e – est originaire du Québec. Qu’est-ce qui l’a amené sur la grosse Roche? Le Gaboteur a cherché à en savoir plus.

C'est le long de la route 204, nichée au bord d'un bras de mer à Long Beach que l'atelier aux couleurs chaudes de Natalie Binette se dresse. «C'est la première route à droite sur l'autoroute après Goobies, en venant de St. John's», précise la Québécoise en faisant référence à l'arrêt d'autoroute Goobies, connu pour sa statue d'original imposante.

Dans l'atelier qu'elle partage avec son mari, lui aussi ébéniste, l'artiste travaille donc le bois avec vue sur la mer. «Je vois les baleines, les aigles, et en hiver, la glace et les phoques qui se font dorer au soleil avant de partir à la pêche. C'est dur de travailler!», plaisante-t-elle. «Mais ça nous ressource tellement.»

Commencé en 2013, Natalie Binette et Gary Bursey ont terminé de construire de toute pièce leur atelier partagé en 2014. «Mais à ce moment-là, je n'étais pas encore établie comme ébéniste profession­nelle, j'aidais mon mari. […] J'ai commencé ma propre entreprise Creative Wood Design en 2018», raconte-t-elle.

Entre-temps, le couple décide en effet de bâtir également leur maison, un projet qui les occupera de 2016 à 2017. «J'ai vu le lopin de terre, plein d'arbres, je ne pouvais pas imaginer un terrain, mais Gary, lui, était capable d'imaginer de quoi cela aurait l'air… C'est comme ça que cela a commencé et qu'on s'est établi ici», se souvient l'artiste, originaire de Rouyn-Noranda en Abitibi.

Avant le «ici», il y a le Québec. Après des études en administra­tion des affaires, Natalie Binette travaille comme comptable au Québec. «J'ai été comptable agréée pour une période de 20 ans, jusqu'à ne plus être capable d'en prendre et d'évoluer dans le milieu.» La Québécoise a donc dû se réinventer. Un ami qui connaît sa passion pour le travail du bois lui conseille de se former dans le domaine.

Au terme de sa formation d'ébéniste d'un an et demi, l'apprenti doit faire un stage dans le milieu. «Je suis allée faire un stage dans le coin de Montréal… chez un ébéniste qui est maintenant mon conjoint!», rigole Natalie Binette en précisant: «et ce conjoint, il est Terre-Neuvien».

Voilà donc le lien avec la grosse Roche! La Québécoise y met les pieds avec Gary Bursey pour la première fois en 2007. Leurs visites se font à chaque fois plus longues. «On venait pour un mois, ensuite la fois d'après, pour cinq semaines, puis six semaines, puis sept semaines…J'ai dit à Gary: "je suis tellement enthousias­te de me rendre à TerreNeuve, mais tellement triste de retourner au Québec. Ce serait le fun si on ne retournait pas!"». Le couple posera ses bagages définitive­ment en 2013 le long de Southwest Arm pour poursuivre son artisanat.

Tous deux sont membres approuvés au Craft Council of Newfoundla­nd and Labrador. Alors que Gary Bursey se concentre sur la fabricatio­n de meubles sur mesure, Natalie Binette produit surtout des accessoire­s. «Ce qui m'anime, c'est de produire des accessoire­s qui sont utiles. Des accessoire­s de cuisine, des planches à découper, des couteaux à pizza, etc. Je travaille beaucoup avec le tour à bois», détaille-t-elle.

Salière, poivrier, crayons, bagues ou outils pour la couture, la Québécoise ne manque pas d'imaginatio­n pour faire vivre son entreprise Creative Wood Design. Ses bagues et ses planches en bois sont particuliè­rement en vogue. «Entre ce qu'on pense que les gens veulent et ce qu'ils veulent, il y a souvent un écart. Les goûts à Terre-Neuve sont très différents des goûts sur la terre ferme», remarque-t-elle. Par terme ferme, elle entend par là le mainland, le reste du continent.

Plutôt que des produits en bois très luxueux comme le bois de rose, ou l'ébène, ses clients aiment en effet particuliè­rement le bois Spectra Ply, un bois contreplaq­ué en bouleau avec des couches de différente­s couleurs – du rouge, du rose, du bleu ou du vert. «Quand on tourne ce bois, ça fait des formes colorées, et c'est très en demande. Tout ce que j'ai fait cette année, c'est ça! […] L'idée, c'est d'offrir aux gens ce qu'ils veulent.»

Des femmes de tout âge, notamment entre 30 et 40 ans, constituen­t la majeure partie de sa clientèle. Sa particular­ité ? «Ce sont des articles haut de gamme, je recherche des matériaux de base de haute qualité. Les articles de cuisine sont en acier inoxydable par exemple», détaille Natalie Binette.

Sa devise? Faire «des accessoire­s en bois qui sont utiles, élégants et uniques». Des produits pour des «personnes qui recherchen­t des produits durables qui sortent de l'ordinaire». La Québécoise travaille actuelleme­nt sur la mise en ligne de ses produits sur son site Internet. Commander en ligne du local est en effet une pratique beaucoup plus en demande depuis la pandémie.

Pour l'instant, son site est uniquement en anglais, mais elle espère trouver le temps pour le traduire en français. Il est certain que l'ébéniste est toujours heureuse d'accueillir des clients en français au téléphone ou dans son magasin/atelier.

«Je me sens un peu sur mon radeau avec mon français à TerreNeuve! Comment les francophon­es d'un peu partout dans la province, mais en dehors de

St. John's, se trouvent-ils? Comment se contactent-ils?», s'interroge-t-elle. Toute sa vie à elle se fait majoritair­ement en anglais à Long Beach.

«Au début, on avait tellement de projets ici à notre arrivée, mon immersion anglaise a été complète, je n'avais pas de francophon­es dans mon entourage [...]. Mais je n'avais pas assez de temps pour m'en rendre compte!» Quelques amis au Québec, les nouvelles de Radio-Canada, et maintenant du Gaboteur, sont son seul lien avec le français. N'étant pas retournée au Québec depuis son arrivée dans la province en 2013, elle ressent aujourd'hui un besoin pressant de parler sa langue maternelle.

«Là, j'arrive à un point - parce que j'ai plus de temps pour réfléchir -, où je sens la carence au niveau d'établir un pont avec ma culture. […] Ça me manque énormément de ne pas être en contact avec ma culture. Il faut que je fasse des pas pour m'y reconnecte­r, parce que je suis en déséquilib­re sur cet aspect-là.»

Pour autant, l'ébéniste n'a pas de regret d'être venue s'installer à Terre-Neuve. Seulement de la nostalgie. «On découvre de nouveaux horizons, mais on laisse nécessaire­ment des choses derrière soi», énonce-t-elle.

Pour se ressourcer et s'inspirer, rien de tel que le contact avec la nature. «Juste d'aller dans un endroit où il n'y a pas d'asphalte, juste d'être loin de la maison, juste d'entendre le bruit des vagues, le bruit que mes chaussures font là où je marche, le vent, les oiseaux, les feuilles… Ça, c'est de la thalassoth­érapie», souligne-telle. Respirer au rythme de la nature est important pour elle.

Justement, les baleines sont arrivées à Southwest Arm. Elles plongent, sortent de l'eau pour se nourrir… Une bonne excuse pour ralentir: «On arrête tout, puis ce qu'on fait c'est qu'on regarde la baleine qui monte et qui descend!», se réjouit Natalie Binette.

En plus de son atelier boutique à Long Beach, il arrive à Natalie Binette de venir au St. John's Farmer Market pour vendre ses accessoire­s en bois ou lors des foires d'automne et de Noël organisées par Craft Council NL. Ses produits sont également disponible­s à la boutique The Glass Station à Rocky Harbour et à Neddies Harbour Inn. Pour découvrir ces créations, rendez-vous sur son site internet Creative Wood Design.

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 ?? Photo: Courtoisie de Natalie Binette ?? Planche à découper, bagues, couteaux à pizza: Natalie Binette crée des accessoire­s en bois «utiles, élégants et uniques».
Photo: Courtoisie de Natalie Binette Planche à découper, bagues, couteaux à pizza: Natalie Binette crée des accessoire­s en bois «utiles, élégants et uniques».

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