Découvrir (ou mieux connaître) les Innus
«Après Serge Bouchard, Sylvie Vincent et Rémi Savard, c’était au tour de l’anthropologue José Mailhot de nous quitter lundi après un combat contre le cancer», écrivait la journaliste Caroline Montpetit le 26 mai dernier dans Le Devoir. Ces Québécois laissent un grand vide dans le milieu de l'anthropologie, et plus particulièrement en ce qui a trait à l’étude des peuples autochtones. Amis des Innus, ils se sont intéressés de près à leurs histoires, leurs cultures et leur langue. En hommage, Le Gaboteur vous présente quelques-unes de leurs oeuvres.
Ma lecture du Peuple rieur de Serge Bouchard et de Marie-Christine Lévesque a été marquée par le hasard des événements. C'est ce livre qui était sur ma table de chevet lorsque j'ai appris la mort de l'anthropologue le 11 mai dernier. Et c'est dans l'ombre de sa disparition que j'ai lu ces lignes qui terminent le livre: «Et moi qui fus un ami, un porte-parole, un farouche défenseur [...], je termine à présent ma course.»1
Ce livre est présenté comme une somme d'histoires «évoquées, décrites, racontées et parfois même murmurées autour du feu».2 C'est tout d'abord l'histoire de la rencontre de Serge Bouchard, alors adolescent, avec l'univers autochtone via le livre Les Indiens du Canada de Diamond Jenness (prologue). Mais très rapidement nous passons de l'anecdote biographique à «la très grande marche d'un tout petit peuple»3, le peuple innu.
Au cours des chapitres, on passe constamment de la petite à la grande histoire. La petite histoire de Michel et de son rire lorsque Serge, après un long voyage en canot, tente de se lever et tombe en pleine face sur le sable. «Dans le silence absolu des épinettes, un grand, un très grand rire fusa...»4 (chapitre 1). La grande histoire des premiers contacts entre Européens et autochtones au XVIIe siècle (chapitres 2-3).
La petite histoire d'Elizabeth et de son pain (chapitre 4). La grande histoire de ces relations commerciales entre autochtones et colons européens qui définirent «le temps des fourrures» (chapitre 6). La grande histoire aussi, cruelle celle-là, de la tentative d'assimilation et d'effacement des autochtones; la grande histoire des pensionnats (chapitre 8).
Le hasard des événements frappe ici à nouveau: je lisais justement ce chapitre lorsque commença à circuler la nouvelle de cette découverte horrible de 215 cadavres d'enfants autochtones dans l'arrière-cour d'un pensionnat à Kamloops.
La force du texte de Serge Bouchard se trouve dans sa manière de raconter. Il raconte l'histoire d'un peuple pour lui rendre justice. Il parle pour qu'on puisse (finalement) entendre ce peuple qui rit, même lorsqu'il pleure ses morts et ses blessures.
Il parle pour que survivent la parole et les gestes de George, de Michel, d'Elizabeth, de Mathieu. Il raconte pour que survive le rire du peuple innu qui résiste au silence qu'on a trop longtemps voulu lui imposer. Il est venu le temps d'écouter ce peuple, afin de peut-être pouvoir rire avec lui. Ce livre est un geste de réconciliation et de vérité.