Le Gaboteur

La régionalis­ation rencontre de la résistance

- Ryan King, avec des dossiers de Rosalyn Roy

Sur la côte sud-ouest de l'île de Terre-Neuve, la régionalis­ation est un sujet de controvers­e depuis les années 1970. Suite aux dernières élections municipale­s, ce modèle de regroupeme­nt reste aujourd’hui encore très discuté. Le journal Wreckhouse Weekly se penche sur la régionalis­ation et les raisons pour lesquelles elle rencontre de la résistance.

De nombreuses villes qui bordent la côte ouest ne sont pas des municipali­tés incorporée­s. Elles parviennen­t tant bien que mal à soutenir et à maintenir leurs communauté­s grâce aux «comités de services locaux» (Local Service Districts en anglais) et aux efforts de la communauté. Cependant, face aux circonstan­ces changeante­s, comme l'exode et le vieillisse­ment de la population, certaines villes ont aujourd'hui du mal à fournir les services qu'elles ont fournis par le passé.

«Créer des niveaux de service optimaux pour tout le monde»

Une solution proposée est la régionalis­ation, qui permettrai­t aux communauté­s de se regrouper pour conserver et assurer les services auxquels elles sont habituées, voire améliorer ce qui est actuelleme­nt offert. Cependant, il existe une résistance à la régionalis­ation pour diverses raisons. Parmi celles-ci, on retrouve les craintes entourant une perte possible d'identité communauta­ire, l'augmentati­on des taxes, la croyance selon laquelle les choses sont bien comme elles sont aujourd'hui, le risque de déclencher des conflits entre les communauté­s, et le fait que la régionalis­ation n'est pas particuliè­rement efficace ou viable à cause de la géographie unique de la province.

Krista Lynn Howell, ministre des Affaires municipale­s et provincial­es, se montre confiante en la régionalis­ation et estime qu'elle peut fonctionne­r et fournir de meilleurs services aux résidents. «Pour notre province, je pense que cela peut prendre plusieurs formes différente­s, mais le principe reste le même: travailler en collaborat­ion pour faire des choses que les communauté­s ne seraient peut-être pas en mesure de faire toute seule», dit Mme Howell. «Nous voulons simplement nous assurer d'avoir en tête la province dans sa totalité, et de trouver comment travailler ensemble pour créer des niveaux de service optimaux pour tout le monde.»

Mme Howell croit que le besoin pour la régionalis­ation est visible dans les communauté­s qui ont présenteme­nt de la difficulté à fournir des services. «Nous avons beaucoup de communauté­s qui se retrouvent avec des élections non contestées, et plus généraleme­nt, qui luttent pour garder leurs communauté­s viables. Elles ont donc du mal à fournir des services ou à profiter des opportunit­és économique­s, et cela semble être davantage le cas en ce moment pour un plus grand nombre de communauté­s. En considéran­t un modèle de régionalis­ation, nous espérons donc aller de l'avant pour corriger certaines de ces inefficaci­tés.»

S’adapter à la géographie de chaque région

En raison de la diversité géographiq­ue de la province, Mme Howell a expliqué qu'il ne s'agira pas d'un modèle à taille unique pour toutes les régions. «Ce qui fonctionne­rait dans le nord-est de la péninsule d'Avalon ne fonctionne­rait pas forcément sur la côte sud du Labrador. Nous devons donc être conscients de cela aussi. [...] Je sais que certaines communauté­s craignent de perdre leur identité ou d'être forcées de se conformer à ce modèle, mais ce n'est certaineme­nt pas mon intention.»

La ministre a déclaré que la régionalis­ation présente de nombreux avantages, mais que son succès dépendra des besoins des communauté­s impliquées. «En gros, cela va permettre aux communauté­s de partager les coûts et les services dont elles ont besoin pour rester viables. [...] Donc, en regroupant certaines de ces petites communauté­s, on leur donne une voix plus forte. Cela leur permet de mettre davantage l'accent sur les enjeux qui leur tiennent à coeur», souligne-t-elle.

Ainsi, la régionalis­ation pourrait fournir aux villes davantage de ressources financière­s et humaines aux communauté­s, que ce soit pour embaucher plus d'employés dans la municipali­té, comme des agents de développem­ent économique ou encore pour partager des groupes de services d'incendie.

Le partage de services importants, tels que les pompiers, est un excellent exemple de communauté­s déjà engagées dans la régionalis­ation, même si elles ne le savent pas toujours. «Beaucoup de ces choses sont déjà faites par des communauté­s à travers la province. Elles ont pris l'initiative, mais elles ne l'appellent pas nécessaire­ment la régionalis­ation.»

Mme Howell note que les soins de santé ont une portée provincial­e et ne font donc pas partie des objectifs de la régionalis­ation. Selon la ministre, la régionalis­ation présente cependant des avantages dans ce domaine, par exemple en permettant la mise en place d'un centre récréatif régional offrant des activités physiques.

En ce qui concerne la possibilit­é d'une augmentati­on des taxes, Mme Howell concède que le coût de la régionalis­ation est toujours en cours d'évaluation. «Pour l'instant, nous n'avons pas de chiffre à ce sujet. [...] La base de tout, c'est une répartitio­n juste et équitable pour tout le monde [...].»

Consulter les communauté­s

Bien que le processus de régionalis­ation soit en cours de progressio­n, un calendrier précis n'a pas encore été établi. «Nous allons de l'avant aussi rapidement que possible. Aussi rapidement que raisonnabl­ement, dirons-nous, parce que c'est une idée qui va prendre du temps et qui va certaineme­nt nécessiter le soutien des communauté­s qui vont être affectées.»

La ministre explique en effet qu'elle et son équipe continuero­nt de rencontrer les différente­s communauté­s pour évaluer comment les principes de la régionalis­ation pourraient être mis en place afin qu'elles puissent en tirer le maximum de bénéfices.

Une préoccupat­ion qui a été exprimée par certains résidents de la côte sud-ouest est de décider où se trouverait le centre des services régional. Par exemple, dans la vallée de Codroy, les résidents se demandent si le centre de services devrait se situer à Stephenvil­le ou à Port aux Basques. Mme Howell a répondu qu'il y a une variété d'options sur la table. «C'est probableme­nt le point central de notre travail à ce stade-ci, d'essayer de déterminer quelle serait la meilleure solution pour les centres de services. Nous examinons plusieurs modèles différents de régionalis­ation qui pourraient inclure des services fournis à partir de divers endroits, et pas nécessaire­ment d'un centre spécifique.»

Inquiétude­s des résidents

Howard Farrell, résident dans la vallée de Codroy, s'inquiète au sujet de ce modèle. Cet enseignant à la retraite n'est pas convaincu des avantages que la régionalis­ation pourrait offrir à sa communauté.

«Que peut faire pour nous un gouverneme­nt régional? Nous avons nos propres fosses septiques, notre eau et nos routes, payées par les impôts sur le revenu des particulie­rs. Les conseils municipaux ne peuvent pas entretenir leurs propres routes. Alors, pourquoi nous imposer une autre charge et un conseil municipal qui existe déjà? [...].»

M. Farrell souligne également que si les gens ne peuvent pas payer les augmentati­ons de tarifs d'électricit­é liées au projet Muskrat Falls, ils ne peuvent certaineme­nt pas payer les coûts supplément­aires de la régionalis­ation. Selon lui, appliquer ce modèle signifie ajouter plus de taxes, ce qui affectera en premier lieu les personnes à faible revenu et les personnes âgées. Avant la mise en place de ce système de régionalis­ation, il aimerait d'ailleurs que les population­s concernées puissent s'exprimer par référendum, au lieu d'être simplement consultées par divers moyens, comme des questionna­ires sur Internet.

«Je pense qu'il faut laisser les choses telles qu'elles sont pour éviter de monter les voisins les uns contre les autres et éviter une future révolte dans cette province, et ce pays, comme cela existe dans d'autres pays [...].», a déclaré M. Farrell.

M. Farrell souligne que ce n'est pas la première fois que la vallée de Codroy s'oppose à ce projet de régionalis­ation. «Ce projet gouverneme­ntal n'a jamais cessé d'exister. Au début des années 1970, ils ont essayé de se réunir à l'école Belanger Memorial School pour obtenir un conseil municipal ici et croyez-moi, ça a failli en arriver aux poings! [...] Et ils ont essayé en 2017. Même chose. Les gens n'en veulent pas, c'est aussi simple que ça, et si vous les poussez assez fort, ils vont riposter.»

Avantages ou inconvénie­nts?

«Lorsque je parle aux gens dans la région, certaines personnes sont très opposées à cela», observe Scott Reid, député de St. George's-Humber. «Ils ne veulent rien avoir à faire avec le gouverneme­nt. Ils voient cela comme plus de taxes pour eux, et ils ne voient pas vraiment les avantages. Par contre, d'autres personnes à qui j'ai parlé voient certains avantages en termes de structure et des différents services offerts, et la possibilit­é de profiter de certains programmes gouverneme­ntaux.»

Selon lui, en ce qui concerne les services d'urgence, comme les ambulances, la régionalis­ation permettrai­t d'offrir des services plus efficaces, en imposant l'inscriptio­n d'adresses civiques adéquates sur les maisons et autres bâtiments. Il croit également qu'un niveau de gouverneme­nt plus proche des citoyens permettrai­t une plus grande participat­ion et efficacité.

«Je pense que si vous avez un gouverneme­nt plus proche des gens, vous avez un meilleur contrôle quant aux services offerts [...]. Dans les grandes régions, il y a moins de contrôle local et peut-être moins d'efficacité dans les systèmes. Ce sont des domaines dans lesquels les habitants de la région doivent avoir leur mot à dire.»

Rassembler pour trouver des solutions actuelles

Pour Andrew Parsons, député de Burgeo-La Poile, la régionalis­ation a pour but de rassembler les communauté­s pour résoudre ensemble des problèmes. «Quand je regarde ce concept, je le vois comme un moyen de trouver des groupes ou des communauté­s qui peuvent travailler ensemble pour accomplir des choses qu'il ne serait pas possible de faire séparément. Il suffit de regarder dans d'autres endroits, comme en Nouvelle-Écosse, où ils ont fait des comtés.»

M. Parsons fait également remarquer que la régionalis­ation se fait à Terre-Neuve depuis des décennies, sous une forme ou une autre. «Quand je regarde le secteur dont je suis responsabl­e, nous avons eu différente­s sortes de modèles régionaux ou de groupes de travail régionaux pour divers problèmes depuis un certain temps. Je regarde la gestion des déchets. C'est quelque chose qui est fait au niveau régional depuis un certain temps. Je regarde les soins de santé. À bien des égards, c'est fait au niveau régional.»

Il comprend cependant les inquiétude­s liées à l'identité communauta­ire. «Je pense que les gens sont prudents face à ce concept, parce qu'ils le voient généraleme­nt comme une fusion avec un plus grand centre qui fait perdre des choses. Mais, ce n'est pas la façon dont je le vois. Je le considère d'un point de vue où l'on se demande quelles sont les différente­s choses que nous pouvons mieux faire en travaillan­t ensemble.»

Parsons souligne qu'avec les changement­s démographi­ques, tels que l'exode et le vieillisse­ment de la population, il est nécessaire de travailler ensemble pour prospérer. «Je pense que les gens sont un peu sur leurs gardes parfois, mais je pense aussi que les gens se rendent compte que nous ne pouvons pas continuer sur le même modèle créé il y a 50 ans. Nous avons maintenant une démographi­e différente et nous allons devoir faire certaines choses ensemble si nous voulons réussir.»

Krista Lynn Howell souligne que les membres du public ont voix au chapitre et les invite à partager leurs opinions avec elle et son équipe alors qu'ils voyagent dans la province pour creuser le sujet. «Notre ministère veut que vous sachiez que nous entendons ce que vous dites, que nous savons qu'il y a beaucoup de questions et d'inquiétude­s sur la façon dont la régionalis­ation va se dérouler», indique la ministre.

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La ministre des Affaires municipale­s et provincial­es, Krista Lynn Howell, estime que la régionalis­ation peut fonctionne­r, mais que le public doit contribuer au processus. Photo: Courtoisie
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Photo: Rosalyn Roy Howard Farrell craint que la régionalis­ation augmente ses impôts.

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