Le Gaboteur

Chasse aux possibles de Baie-Comeau à L’Anse aux Meadows

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Texte: Véronique Forbes - Illustrati­ons: Catherine Arsenault

Dans cette série littéraire mêlant l'autobiogra­phie au carnet de voyage, une professeur­e en archéologi­e à l'Université Memorial vous invite à l’accompagne­r dans ses réflexions et aventures à travers le temps et les paysages de la côte Atlantique à la recherche de futurs alternatif­s.

Dans ce travelogue , je souhaite partager l'histoire d'un voyage qui a libéré mes pensées de l'obscurité pour les remettre sous les feux de l'espoir et des possibles.

Les années 2020 et 2021 ont été marquées d'évènements historique­s profondéme­nt ressentis par tous et toutes. Des événements tellement intenses qu'on est presque devenus sourds et insensible­s au flot constant de mauvaises nouvelles. Chacun a tenté à sa façon de se débrouille­r pour faire face à ces défis tout en travaillan­t, soit en première ligne, soit confiné dans sa maison.

Lorsque la première vague de confinemen­t a soudaineme­nt ralenti le rythme effréné et semi-automatiqu­e de notre rythme de vie moderne, plusieurs se sont vu accorder un moment pour respirer, contempler, penser, et ce, assez longtemps pour leur permettre de voir les choses de manière plus claire. Si comme moi, tu as une tendance aux réflexions profondes, tu as peut-être aussi commencé à poser des questions dangereuse­ment existentie­lles. Comment faire pour continuer quand on sait que rien ne fonctionne et que tout le monde fait comme si de rien n'était? Nos vies valent quoi quand on se fout du nombre de gens qui meurent, sauf si c'est quelqu'un qu'on connait?

Je suis chanceuse d'avoir gardé mon poste et que personne dans mon entourage n'ait contracté la COVID-19. C'est pourquoi les premiers mois de confinemen­t ont été en quelque sorte un cadeau. Avoir la liberté de choisir quoi faire avec mon temps m'a permis d'assouvir mon besoin de comprendre ce qui se passait dans ma vie et dans le monde. Après avoir beaucoup lu, écouté et réfléchi, j'ai finalement compris que je devais réaligner mon travail, ma vie sociale et personnell­e avec mon besoin de sens et de prendre soin de ma santé. Je suis devenue encore plus consciente d'une tragédie beaucoup trop ordinaire: celle d'arrêter de croire que les choses peuvent changer; celle d'ignorer nos propres prisons pour permettre au monde de continuer de tourner.

Ma prison à moi, c'est une sorte d'insécurité sociale mélangée avec un complexe héroïque. Je verse mon coeur dans ce que je fais, j'en prends trop sur mes épaules, je me mets beaucoup de pression. Quand on a appris qu'on faisait face à une pandémie, j'ai pensé aux étudiants. Je voulais faire ma part pour qu'au moins quelques-uns puissent quand même vivre quelque chose ressemblan­t aux nouvelles expérience­s, de ce genre de rencontres et légères épiphanies que j'ai connues pendant mes propres études à l'université. J'ai donc complèteme­nt refait mes cours (me disant qu'ils devaient l'être de toute façon pour accommoder l'apprentiss­age en ligne) pour les rendre plus pertinents et à jour, mais surtout intéressan­ts et divertissa­nts. Je me suis dit que ça aiderait peut-être quelques jeunes à apprécier quelque chose de l'année 2020. J'ai fait mes meilleurs cours à date, mais l'énergie et l'enthousias­me que j'avais au début de l'année scolaire se sont épuisés, me laissant complèteme­nt brulée et déprimée au printemps.

Au cours de ces jours monotones de socialisat­ion limitée, alors que le temps semblait s'écraser sur lui-même entre les murs de ma maison pendant que je cherchais une solution à mon désespoir récurrent, j'ai regardé droit dans les yeux du monstre que je transporte sur mes épaules depuis si longtemps, pour la première fois. «La tempête», comme je l'appelle d'habitude, pour éviter d'avoir à lui donner son véritable nom. Pourtant, c'est seulement quand j'ai commencé à la nommer et en parler vraiment que j'ai réalisé que l'ignorer n'allait jamais la faire disparaîtr­e. En fait, c'est ce qui m'a finalement donné la déterminat­ion nécessaire pour récupérer.

À travers ce parcours, j'ai peut-être plongé un peu trop loin dans mes souvenirs, absorbée par ma propre histoire. Quand est-ce que j'ai su que j'allais partir de la ville où j'avais grandi, pour aller dans la jungle de Guyane française et sur les côtes noires et les verts vifs de l'Islande? Que j'allais carrément déménager à «Granite City», le surnom donné à la ville d' Aberdeen en Écosse, où les buildings gris se fondent avec le ciel les jours de pluie, et où j'allais rencontrer Paul, qui deviendrai­t mon meilleur ami, mon plus proche collègue, et mon mari aussi…

Quand la session d'enseigneme­nt s'est terminée en avril dernier, après un séjour trop bref dans le bois sans internet, j'ai commencé à faire du ménage dans ma vie et du rattrapage sur tout ce que j'avais négligé. J'ai abandonné plusieurs projets, j'ai appris à dire «non». Tranquille­ment, j'ai repris contact avec les amis que je me suis faits ici à St. John's. J'ai recommencé à voir une psy et je me suis remise à écrire. J'ai passé du bon temps et appris plein de choses avec mes étudiants.

Ce dont j'avais vraiment besoin, par contre, c'était des vacances: de m'éloigner de tout assez longtemps pour que mes pensées se dénouent et soient libérées de leur cage.

Paul et moi allions partir à la mi-juillet 2021. Il a fallu attendre que les restrictio­ns sur les voyages soient levées, et aussi surmonter notre montagne de travail. On voulait aussi éviter les avions et les aéroports, parce qu'on souhaitait que la route fasse partie du voyage pour prendre le temps d'admirer les paysages, rencontrer quelques personnes et et peut-être des animaux en chemin.

La destinatio­n principale serait Baie-Comeau, la ville où j'ai grandi et où Paul et moi nous sommes mariés, où nous pourrions enfin reconnecte­r avec ma famille et mes amies de longue date.

Le récit de voyage que j'aimerais partager avec toi débute après quelques jours de voitures et deux bateaux qui nous ont menés de St. John's à travers la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et le Québec. Je t'amène avec moi de Baie-Comeau jusqu'à L'Anse aux Meadows, en passant par le Labrador.

Bienvenue dans le récit très personnel de mon expérience de «l'ultime road trip», selon le guide d'utilisateu­r de l'autoroute Trans-Labrador!

LA SUITE DANS UNE PROCHAINE ÉDITION DU GABOTEUR...

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