Le Gaboteur

Une politique du mensonge

- Patrick Renaud inexact. en son propre nom;

L'écart entre la réalité et la parole du ministre est gargantues­que. Avec raison et sans surprise, l'opposition politique s'est très rapidement scandalisé­e de cet «écart de langage», accusant le ministre d'avoir menti et d'avoir voulu tromper le public. Le ministre concerné s'en est bien défendu en disant avoir, tout simplement, «mal parlé» (misspoke). Le premier ministre Andrew Furey a quant à lui précisé que l'écart de langage de son ministre était une «erreur» sans malice et sans intention de tromper.

Le coeur d'un mensonge: l'intention

L'explicatio­n du premier ministre n'est pas sans intelligen­ce. En effet, au coeur de la définition commune de ce qu'est le mensonge, il y a l'idée d'une intention ou d'une volonté de tromper l'autre. Cette

LE MOIS DERNIER, LE MINISTRE DU DéVELOPPEM­ENT SOCIAL PAUL PIKE AFfiRMAIT lors d’une conférence de presse que le gouverneme­nt libéral avait construit 750 unités de logement à travers la province au cours des deux dernières ANNéES. UN TRAVAIL JOURNALIST­IQUE DE CONTRE-VéRIfiCATI­ON A RAPIDEMENT permis de faire voir que le nombre cité était, pour le dire poliment,

À ce jour, seulement onze unités sont terminées et habitables. intuition n'est pas nouvelle, bien sûr. Elle prend racine dans l'antiquité chrétienne, notamment dans la pensée de Saint-Augustin, pour qui on reconnaît un mensonge à «l'intention de l'esprit» de celui qui parle. Ainsi, si le ministre n'a pas l'intention de tromper, comme le dit Furey, il n'a pas menti et est donc sans reproche. Ou en tout cas, il n'est pas coupable de ce que lui reproche l'opposition.

Cette définition du mensonge a pour critère un élément invérifiab­le, puisqu'invisible: l'intention d'une personne. On ne peut pas, par exemple, «prouver» au sens fort du terme que le ministre Pike avait l'intention de tromper le public. Ainsi, affirmer que quelqu'un ment, n'est pas, n'est jamais, qu'une question empirique et factuelle. Il y a toujours une part d'indécidabl­e, de spéculatif, d'invention, au coeur de l'affirmatio­n «Il a menti» ou «Il n'a pas menti». L'affirmatio­n repose toujours à la fois sur deux choses: le jugement d'un écart entre une phrase dite et la réalité supposémen­t décrite; et le jugement sur une image qu'on peut se faire du paysage intérieur de la personne qui parle.

Or comment en vient-on à se faire une image d'un paysage intérieur qui nous est, par nature, invisible et indisponib­le? L'image en question est bien entendu une projection, une invention qu'on se fait à propos d'autrui pour apprendre à interagir avec lui. Et on invente à partir de ce qu'on croit déjà connaître de la personne: d'autres mots qu'il a dits et des gestes qu'il a posés. Et dépendant de ces mots et de ces gestes, on décide soit de lui faire confiance, soit de lui refuser cette confiance.

Le parti et son image

L'invention de cette image est difficile à faire dans un contexte politique et médiatique car, de fait, nous savons très peu de choses de nos politicien­s, outre ce qu'ils acceptent bien de nous faire voir ou entendre. L'image que nous avons d'eux est conditionn­ée à la fois par un dispositif médiatique (cadre des questions des journalist­es, durée des reportages, choix des thèmes et des événements dignes d'être au coeur de l'actualité…), mais surtout par une volonté stratégiqu­e de communicat­ion politique de la part du gouverneme­nt au pouvoir (conférence­s de presse, publicatio­ns sur les réseaux sociaux, entrevues, discussion­s informelle­s…).

La parole d'un politicien quelconque en d'autres mots ne peut pas, ne doit pas être considérée, sauf exception, comme une parole réellement personnell­e. Le ministre ne parle pas

Newspapers in French

Newspapers from Canada