Une politique du mensonge
L'écart entre la réalité et la parole du ministre est gargantuesque. Avec raison et sans surprise, l'opposition politique s'est très rapidement scandalisée de cet «écart de langage», accusant le ministre d'avoir menti et d'avoir voulu tromper le public. Le ministre concerné s'en est bien défendu en disant avoir, tout simplement, «mal parlé» (misspoke). Le premier ministre Andrew Furey a quant à lui précisé que l'écart de langage de son ministre était une «erreur» sans malice et sans intention de tromper.
Le coeur d'un mensonge: l'intention
L'explication du premier ministre n'est pas sans intelligence. En effet, au coeur de la définition commune de ce qu'est le mensonge, il y a l'idée d'une intention ou d'une volonté de tromper l'autre. Cette
LE MOIS DERNIER, LE MINISTRE DU DéVELOPPEMENT SOCIAL PAUL PIKE AFfiRMAIT lors d’une conférence de presse que le gouvernement libéral avait construit 750 unités de logement à travers la province au cours des deux dernières ANNéES. UN TRAVAIL JOURNALISTIQUE DE CONTRE-VéRIfiCATION A RAPIDEMENT permis de faire voir que le nombre cité était, pour le dire poliment,
À ce jour, seulement onze unités sont terminées et habitables. intuition n'est pas nouvelle, bien sûr. Elle prend racine dans l'antiquité chrétienne, notamment dans la pensée de Saint-Augustin, pour qui on reconnaît un mensonge à «l'intention de l'esprit» de celui qui parle. Ainsi, si le ministre n'a pas l'intention de tromper, comme le dit Furey, il n'a pas menti et est donc sans reproche. Ou en tout cas, il n'est pas coupable de ce que lui reproche l'opposition.
Cette définition du mensonge a pour critère un élément invérifiable, puisqu'invisible: l'intention d'une personne. On ne peut pas, par exemple, «prouver» au sens fort du terme que le ministre Pike avait l'intention de tromper le public. Ainsi, affirmer que quelqu'un ment, n'est pas, n'est jamais, qu'une question empirique et factuelle. Il y a toujours une part d'indécidable, de spéculatif, d'invention, au coeur de l'affirmation «Il a menti» ou «Il n'a pas menti». L'affirmation repose toujours à la fois sur deux choses: le jugement d'un écart entre une phrase dite et la réalité supposément décrite; et le jugement sur une image qu'on peut se faire du paysage intérieur de la personne qui parle.
Or comment en vient-on à se faire une image d'un paysage intérieur qui nous est, par nature, invisible et indisponible? L'image en question est bien entendu une projection, une invention qu'on se fait à propos d'autrui pour apprendre à interagir avec lui. Et on invente à partir de ce qu'on croit déjà connaître de la personne: d'autres mots qu'il a dits et des gestes qu'il a posés. Et dépendant de ces mots et de ces gestes, on décide soit de lui faire confiance, soit de lui refuser cette confiance.
Le parti et son image
L'invention de cette image est difficile à faire dans un contexte politique et médiatique car, de fait, nous savons très peu de choses de nos politiciens, outre ce qu'ils acceptent bien de nous faire voir ou entendre. L'image que nous avons d'eux est conditionnée à la fois par un dispositif médiatique (cadre des questions des journalistes, durée des reportages, choix des thèmes et des événements dignes d'être au coeur de l'actualité…), mais surtout par une volonté stratégique de communication politique de la part du gouvernement au pouvoir (conférences de presse, publications sur les réseaux sociaux, entrevues, discussions informelles…).
La parole d'un politicien quelconque en d'autres mots ne peut pas, ne doit pas être considérée, sauf exception, comme une parole réellement personnelle. Le ministre ne parle pas