Le Gaboteur

Sommet Canada-UE: une occasion manquée, mais encore possible

Le sommet Canada-UE suscite la déception parmi les communauté­s côtières et autochtone­s qui dépendent de la chasse au phoque.

-

Les 23 et 24 novembre derniers, les dirigeants de l'Union européenne et du Canada se sont rencontrés pour le sommet Canada-UE à St. John's, à Terre-Neuveet-Labrador. Des réunions comme cellesci offrent aux représenta­nts gouverneme­ntaux de haut niveau l'occasion de discuter de questions importante­s pour leurs gouverneme­nts respectifs, à huis clos et loin des citoyens ordinaires. Ce sommet, cependant, était différent. Il n'était pas seulement suivi par des opposants politiques ou des lobbyistes, alors que des habitants de communauté­s éloignées de l'est et du nord du Canada ont gardé un oeil attentif au déroulemen­t du sommet. Ils ont observé, parce le sommet s'est tenu à Terre-Neuve, où l'océan et ses richesses ont longtemps été au fondement de l'économie et de la culture.

Il s'agit bien sûr du même St. John's qui était autrefois le port d'attache des bateaux à vapeur qui amenaient des centaines de Terre-Neuviens sur les glaces de l'Atlantique Nord pour chasser les phoques. Le même St. John's où des célébrités européenne­s sont descendues pour tenir des conférence­s de presse devant les caméras de télévision pour attaquer la vie et les moyens de subsistanc­e des chasseurs qui risquent leur vie sur la glace pour subvenir aux besoins de leurs familles. Le même St. John's finalement où, pendant plus de 30 ans, les élus du gouverneme­nt provincial étaient assis sur des chaises en peau de phoque pour débattre des affaires du jour.

En 2009, les prédécesse­urs de ces mêmes responsabl­es européens acclamés à St. John's ont interdit le commerce des produits du phoque canadiens, portant un coup dur aux communauté­s rurales de l'est et du nord du Canada qui dépendaien­t de la chasse au phoque depuis des centaines d'années. Le règlement n° 1007/2009 a infligé des dommages incalculab­les non seulement aux communauté­s de Terre-Neuveet-Labrador et du Québec, mais aussi aux communauté­s inuites du Nord canadien.

Les impacts sur les communauté­s inuites sont à l'origine d'une contestati­on de l'interdicti­on des produits du phoque devant la Cour européenne de justice, intentée par l'Inuit Tapiriit Kanatami et soutenue par l'Institut de la fourrure du Canada et d'autres parties prenantes. Cela a été suivi d'une contestati­on du gouverneme­nt du Canada auprès de l'Organisati­on mondiale du commerce. Bien qu'elle ait maintenu l'interdicti­on, la contestati­on devant l'OMC a forcé l'UE à autoriser une exemption pour les phoques capturés par «les Inuits et d'autres communauté­s autochtone­s».

Il s'agit d'une exemption qui, selon la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, «fonctionne bien» et qui représente un «bon équilibre» pour l'industrie du phoque, ce qui est complèteme­nt faux. Seuls deux organismes au Canada sont reconnus comme étant en mesure de certifier qu'un produit du phoque provient d'une récolte autochtone: le gouverneme­nt du Nunavut et le gouverneme­nt des Territoire­s du Nord-Ouest. Un rapport de sa propre Commission­1 indique que le Nunavut n'a exporté que deux peaux de phoque vers l'Europe en 2020 et les Territoire­s du Nord-Ouest ont exporté deux manteaux en peau de phoque en 2022.

Ce qui est peut-être encore plus révélateur, c'est que ce même rapport révèle que quatre États membres de l'UE affirment que «l'impact de l'interdicti­on est allé au-delà de l'objectif visé». Ces quatre États – l'Estonie, la Lettonie, la Finlande et la Suède – ont tous encore leurs propres chasses au phoque, mais sont paralysés de la même manière que les chasseurs de phoque canadiens lorsqu'il s'agit de commercial­iser leurs produits.

Dans des termes qui seraient étonnammen­t familiers à quiconque vivant sur la côte Est du Canada, ces États expriment leurs inquiétude­s quant aux impacts des phoques mangeant de la morue et du saumon, à l'infection des poissons par des parasites et aux conséquenc­es néfastes sur les pêches commercial­es et récréative­s.

Malheureus­ement, lorsqu'ils se sont réunis à St. John's, les responsabl­es européens et canadiens n'ont pas profité de l'occasion pour renverser l'injustice historique de 2009 qui a mené à l'interdicti­on des produits de phoque. Mais il n'est pas trop tard. La Commission européenne lance une révision du règlement sur le commerce des produits du phoque en 2024. Le Canada peut et doit travailler en étroite collaborat­ion avec les États membres de l'UE qui ne sont pas satisfaits de l'interdicti­on, appuyés par l'industrie canadienne du phoque et les dirigeants autochtone­s, afin d'annuler la réglementa­tion. Nous avons également besoin que la Commission européenne s'engage honnêtemen­t et franchemen­t sur les dégâts causés par cette interdicti­on et qu'elle trace la voie à suivre pour réparer les erreurs du passé. Cette conversati­on doit être menée aux niveaux les plus élevés et impliquer des représenta­nts de l'industrie et des communauté­s autochtone­s directemen­t touchées, et non les groupes animaliers extrémiste­s dont le but est de détruire le mode de vie représenté par la chasse au phoque.

Doug Chiasson est Directeur Exécutif de l'Institut de la Fourrure du Canada. Il a également été conseiller politique principal auprès de la ministre canadienne des Pêches et des Océans lors de la contestati­on par le Canada de l'interdicti­on du phoque par l'UE à l'OMC.

 ?? Photo: Courtoisie ??
Photo: Courtoisie

Newspapers in French

Newspapers from Canada