Vivre maintenant
Québécoise d'origine et voyageuse par passion, cette artiste multidisciplinaire gabote de la nature qui l'entoure.
Les géologues1 s'entendent généralement pour désigner notre ère d'anthropocène2. C'est-à-dire une période de l'histoire caractérisée par notre empreinte humaine qui surpasse les forces géophysiques (glaciation, séisme, éruption volcanique, tsunami etc.) pour devenir la principale force de changement sur Terre.
Il appert que nos activités influencent dorénavant de manière décisive la trajectoire de l'écosystème du globe terrestre dans sa globalité. Les changements climatiques affectant par ricochet les ressources vitales, la sécurité alimentaire, l'accès aux ressources, en bref la survie même de notre espèce sur la planète. Les développements économiques et sociaux (l'exploitation minière, la déforestation, le harnachement des rivières etc.), le contrôle humain sur la biodiversité détruisent des habitats naturels et constituent une menace importante pour la survie des populations sauvages3 en plus d'interférer avec la capacité d'autorégulation des écosystèmes.
On augmente notre niveau de confort, mais à quel prix?
Les changements climatiques, malgré le déni tenace de certains politiciens, entraînent déjà des cataclysmes sans précédents à l'échelle de la planète. Nous n'avons qu'à nous souvenir du nombre record et de l'intensité des feux de forêt de l'été 2023 au Canada pour en prendre la mesure et c'est sans compter les inondations, les sécheresses, les problèmes de santé reliés aux différents types de pollution et plus encore. Tous ces phénomènes ne sont pas sans conséquences et ils entraînent leur lot de morts, de dégâts matériels et de destruction.
Un regroupement de chercheurs scientifiques interdisciplinaire et international de l'université de Stockholm4 ont décrit dans un rapport émis en 2009, le cadre référentiel pour que la vie de notre espèce soit possible sur Terre.
Pour ce faire, 9 limites doivent être impérativement respectées, ces limites concernent; • les changements climatiques • diminution de la couche d'ozone stratosphérique l'acidification des océans l'interférence du cycle de l'azote et du phosphore5
• Changement dans l'exploitation des sols • consommation mondiale d'eau douce • diminution de la biodiversité • pollution atmosphérique
• pollution chimique • •
À l'heure actuelle, selon ces chercheurs, les limites quant à la biodiversité et aux changements climatiques sont déjà dépassées et celles de l'exploitation des sols frôlent leurs limites.
Les émissions anthropiques d'émission de gaz à effet de serre responsables de la plupart de ces changements sont tributaires des causes suivantes (rapport du GIEC, 2014):
• 35% production d’électricité par des énergies fossiles (charbon, pétrole et gaz naturel)
• 24% agriculture et exploitation forestière (déforestation, incendies volontaires de forêt et brûlis de cultures)
• 21% industrie (lourde et manufacturière)
• 14% transports (marchandises,
personnes)
• 6% bâtiment (construction, entretien, électricité et chauffage des bâtiments résidentiels et non résidentiels)
Prenant en compte que les habitants du G20 sont responsables de 75% des émissions mondiales des gaz à effet de serre et que ce groupe énergivore se retrouve parmi les sociétés les plus riches, peuton, sans vouloir exagérer ou être trop alarmiste, parler d'une forme d'arme de destruction massive planétaire aussi puissante à long terme que l'énergie nucléaire? La question se pose. Les réponses issues de conférences internationales très politisées se font jusqu'à ce jour discrètes et prudentes, et les promesses prises dans ces réunions sont rarement tenues. On invoque un système économique à défendre ou une guerre à mener pour justifier notre immobilisme. L'argumentaire du PIB (produit intérieur brut) ne prend pas en compte l'IB (indice du bonheur).
Il existe pourtant des solutions…
Il est de plus en plus inconcevable que l'espèce humaine (surtout les sociétés riches) ne prenne pas en compte la relation de dépendance qu'elle a par rapport à la Terre et qu'elle continue d'agir comme si les 2 systèmes, soit les sciences physiques et naturelles d'une part et les sciences sociales et humaines d'autre part pouvaient cheminer en parallèle sans interagir entre elles, car elles sont plus que jamais interreliées. Ce constat, une fois établi, appelle une nouvelle géopolitique avec un changement de gouvernance et de gestion des ressources ainsi qu'une décentralisation des pouvoirs. Le système économique devrait céder sa place ou à tout le moins faire de la place à une autre approche encore à inventer.
Une terre à réinventer finalement, où les impératifs économiques de performance, de production et de rendement ne seraient plus les seuls et uniques moteurs décisionnels. Un modèle où éducation et culture seraient traités sur un même pied d'égalité, où l'école ne servirait pas seulement à former des travailleurs mais d'abord et avant tout des citoyens responsables et respectueux, aptes à réfléchir et à prendre des décisions éclairées en ayant conscience des conséquences et des dommages collatéraux que celles-ci peuvent entraîner. Une communauté de bien où le pouvoir et le contrôle seraient remplacés par de l'entraide et des partages de biens, de ressources et de connaissances. Je rêve ou quoi?
Et pourtant, chaque grand changement a commencé par un rêve…
Le monde dans lequel nous vivons est de plus en plus un monde de gestionnaires. Nous sommes loin de l'homo faber en contact avec la matière et sa créativité, que nous délaissons au profit de l' homo laborius, celui qui travaille pour se libérer du travail (beau paradoxe) pour profiter de ses loisirs6. Nous gérons nos ressources naturelles, notre temps, nos relations, notre alimentation, notre travail, nos passe-temps et j'en passe. Nous gérons nos dépenses, dépensons sans compter, sans désirs ni satisfactions durables, nous consommons, jetons et recommençons. Malheureusement le système planétaire se rebiffe et nous souffle qu'il pourrait aisément se passer de nous si nous continuons dans cette direction, non sans nous faire suer, grelotter, frissonner avant. La Terre pourrait être aussi impitoyable avec notre espèce que nous avons pu l'être avec ses ressources. Déjà en 2014, nous consommions annuellement 150% de ce que la planète pouvait produire7. En bref, ça signifie l'appauvrissement des ressources, l'accumulation des déchets plus rapide qu'ils ne peuvent être recyclés ou absorbés contribuant ainsi à l'augmentation des gaz à effet de serre. Est-ce que la prochaine ère sera celle de l' homo détritus?
Si nous avons longtemps cru que notre conscience humaine était garante de notre supériorité, il semble que cette dernière n'ait finalement pas le dernier mot. Nous resterons, malgré toute notre science, bien petit dans cet immense univers, bien vulnérable aussi… À ce sujet, une lecture inspirante et déstabilisante est celle de l'opus de Jane Bennett, Vibrant matter : A political Ecology of Things où
8 l'auteure dépasse la perspective humaine pour s'intéresser à celle des objets dits inanimés. Elle revisite des conceptions animistes ou anthropomorphiques pour développer une théorie où l'univers entier serait doté d'intention et chercherait à assurer sa propre survie (on s'approche de la notion de conatus de Spinoza). Elle parle d'un monde où, loin d'être les maîtres, nous serions en quelque sorte les participants actifs au même titre que toute la création, ni plus, ni moins. Une telle approche inspire le respect!
Alors, on commence par quoi les copains? Un copain, c'est quand même celui avec qui on partage le pain…