Le Journal de Montreal - Évasion
L’empire du roc
Les anthropologues nous sermonnent lorsque l’on parle d’hommes des cavernes puisque très peu de nos ancêtres vivaient réellement dans des grottes. Ils y célébraient plutôt des cérémonies. Mais en Cappadoce, dans l’actuelle Turquie, l’homme a vraiment vécu dans la pierre.
Il y a dix millions d’années, trois volcans crachèrent une quantité phénoménale de lave sur des milliers de kilomètres et cette lave redevenue solide en se refroidissant a parfois un demi-kilomètre d’épaisseur.
C’est dans cette pierre que l’on a creusé des habitations, des temples, des boutiques, etc. Une vraie vie « troglodyte » (ce mot bizarre désigne les habitants des cavernes) s’est développée ici. Pourquoi bâtir une maison quand on n’a qu’à la creuser dans une paroi ? Deux mille ans avant Jésus-Christ, ces lieux étaient habités par des humains qui se taillaient des maisons.
« Mettez vos pieds dans mes pas », nous avertit notre guide en nous faisant pénétrer dans un labyrinthe de couloirs étroits percés dans le roc. C’est ici le pays de Noé. Une légende veut que le mont Ararat (volé à l’Arménie voisine) ait servi de base de lancement à l’arche lorsque les eaux du Déluge ont déferlé. Cette montagne grandiose embellit le paysage.
Longtemps, la Cappadoce fut chrétienne. En témoignent plusieurs églises bâties dans le roc. Petit à petit dans l’Empire ottoman, les chrétiens se sont assimilés à l’islam (pour éviter d’avoir à payer l’impôt spécial pour les non-musulmans et l’obligation de prêter ses garçons à l’armée du sultan).
Une langue aujourd’hui presque éteinte, le cappadocien, une sorte de mélange de grec et de turc, a longtemps servi d’idiome aux habitants. Ceux-ci ont progressivement déserté les grottes, il y a quelques centaines d’années, parce que les sources souterraines se sont taries. La technologie moderne permet d’atteindre de nouvelles nappes… et voici les habitations troglodytes qui regorgent à nouveau d’habitants... des habitants temporaires : des touristes !