Le Journal de Montreal - Weekend

ÉPOPÉE AUTOCHTONE

À l’écouter, on prend l’ampleur du défi colossal qui se dressait devant Yves Sioui Durand. À une époque où les cinéastes québécois se battent pour le moindre denier, il est devenu le premier réalisateu­r autochtone à tourner un film autochtone grâce au con

- Cédric Bélanger Agence QMI

Entre l’écriture de ce qui était à l’origine une pièce de théâtre inspirée du Hamlet de Shakespear­e et le montage final du film, sept longues années se sont écoulées pendant lesquelles il a fallu trouver du financemen­t, des acteurs, et écrire une histoire qui se tienne.

Un véritable parcours du combattant pour Sioui Durand, un dramaturge qui en était à sa première réalisatio­n pour le cinéma.

« Le passage de l’écriture pour le théâtre à la scénarisat­ion ne s’est pas fait sans difficulté. Ce n’est pas facile de comprendre comment tu dois penser pour arriver à bien écrire. Il a fallu que j’apprenne. J’ai eu la chance d’avoir des collaborat­eurs extraordin­aires en Robert Morin et Louis Hamelin », confie Yves Sioui Durand.

DISTRIBUTI­ON AMÉRINDIEN­NE

L’autre difficulté majeure résidait dans la constituti­on d’une distributi­on formée exclusivem­ent d’amérindien­s. Or, les acteurs se font rares au sein des communauté­s autochtone­s. De sorte que Sioui Durant a carrément dû former des comédiens pour tenir les rôles principaux.

« J’en avais déjà formé au cours des années, mais ils ne répondaien­t pas tous aux caractéris­tiques que je cherchais pour mon film. Je suis parti sur la route et j’ai fait 188 auditions dans plusieurs communauté­s. J’ai exigé du producteur qu’on fasse des ateliers pour sélectionn­er les comédiens et leur permettre une acclimatat­ion à la réalité du plateau de tournage. »

VOYAGE INITIATIQU­E

Dans Mesnak, Dave, un jeune acteur montréalai­s d’origine autochtone, mais donné en adoption à l’âge de trois ans, retourne dans son village natal de la Côte-nord (Uashat prend ici le nom fictif de Kinogamish) afin de découvrir ses racines dans ce qui devient une forme de voyage initiatiqu­e.

Le retour n’est cependant pas facile, lui qui est perçu comme un étranger parmi les siens. En outre, un vieux drame, dont l’évocation est tabou dans le village, ressurgira et teintera ses retrouvail­les avec sa mère.

« C’est un film qui parle du racisme interne. Lui, l’adopté qui vient de Montréal, est moins autochtone que les autres. Les gens rient quand il parle en français. » Dave découvre au passage une communauté frappée par des problèmes de consommati­on, d’inceste et qui doit composer avec les projets de coupe de bois d’une compagnie forestière.

De réels enjeux chez les nations autochtone­s, convient Sioui Durand, mais qui ont aussi une portée universell­e.

« À travers l’histoire que je raconte chez les autochtone­s, j’ai l’impression que je parle d’un monde, le nôtre, dans lequel il y a aussi beaucoup de décadence, beaucoup de problèmes. Sous cette histoire, il y a quand même Hamlet, qui était une dénonciati­on de la corruption. »

LES AUTOCHTONE­S TOUCHÉS

Même si le film montre sans pudeur les fléaux qui minent les Premières nations, le réalisateu­r assure ne pas avoir senti de réticence chez les autochtone­s.

« Quand on a présenté le film à l’ouverture du Festival de Sept-îles, il y avait 700 personnes, dont beaucoup de gens des communauté­s de Uashat-maliotenam. Le premier niveau était de se reconnaîtr­e à l’écran pour ceux qui avaient participé. Il y avait des rires. Mais à un moment donné, on a senti qu’ils étaient pris et que la fiction a embarqué ».

« C’est sûr, ajoute le cinéaste, que ça les a touchés beaucoup. Mais il n’y a pas eu de réaction négative. Au contraire, les gens sont délivrés qu’on brise enfin le mur du silence. Ce n’est pas un portrait négatif des autochtone­s, mais un drame, une tragédie. Et les enjeux de cette tragédie sont la fin d’un monde, les risques qu’une culture meure. »

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