Le Journal de Montreal - Weekend
DU MONDE SEMBLABLES
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Une fois de plus, la chorégraphe de niveau international Anne Teresa de Keersmaeker montrera son savoirfaire par l’entremise de 19 interprètes danseurs et chanteurs sur la scène du Théâtre Maisonneuve. Le spectacle de danse et de musique Cesena présenté en grande première nord-américaine aura une résonance au présent d’une ère de drame et de violence alors qu’un pape a ordonné le massacre de la ville de Cesena, en Italie. La dévastation est présente ainsi que l’espoir de meilleurs lendemains.
Alors que les voix s’élèvent a cappella, les danseurs semblent fondus dans un seul et même corps, sans autres alliés que le souffle et les pas qui résonnent sur le sol.
FUSION
Les 19 interprètes sentent l’obligation de traverser l’épaisseur des ténèbres à la recherche d’un nouveau soleil, celui qui redonnera souffle à la vie. Ils ressuscitent les chants envoûtants et harmoniques datant du 14e siècle, exprimant la dévastation et l’espoir du changement, promesse d’un futur plus reluisant. Danseurs et chanteurs se confondent.
« Il s’agit d’une grâce, d’une danse qui se nourrit de marche et de dépouillement, révèle la chorégraphe. Cesena est un spectacle purement vocal où les danseurs chantent, les chanteurs dansent et toute la musique est livrée a cappella. Le seul instrument est le corps, autant pour le mouvement que pour la musique. Il y a donc, littéralement, une fusion entre la danse et la musique. Et elle est d’autant plus grande que tous les interprètes portent les deux. »
La chorégraphe Anne Teresa de Keersmaeker a travaillé en collaboration avec le musicologue Björn Schmelzer pour ce spectacle, qui nous présente une musique de l’ars subtilior qui remonte à la seconde moitié du 14e siècle. Björn Schmelzer, qui vit à Anvers, est passionné de musique ancienne et aime actualiser la musique d’antan. Il emprunte des façons de faire inusitées pour donner à la musique d’époque la possibilité de rayonner au présent, en harmonisant toutes les qualités et les nuances de l’instrument de la voix.
MUSIQUE SOPHISTIQUÉE
« L’ars subtilior est une musique extrêmement complexe, mais avec beau- coup de transparence, à la manière du cristal. Selon moi, on l’a faussement accusée d’être trop intellectuelle, trop maniérée, alors qu’elle combine la complexité avec un souffle naturel et une grande force d’expression, explique Anne Teresa de Keersmaeker. Ce qui est intéressant, c’est que cette musique, aussi sophistiquée soit-elle, a été créée à un moment critique de l’histoire européenne, où la population a été décimée par la peste et par la guerre. Je trouvais que cela faisait écho au fait que l’art, aujourd’hui, est souvent déconnecté de la réalité sociale. En tant que chorégraphe, j’essaye d’établir des liens entre ces idées abstraites et des corps bien réels. Nous sommes plus de sept milliards d’êtres humains sur Terre. Ainsi, les questions de savoir qui sommes-nous véritablement, d’où venons-nous et où irons-nous me semblent plus pertinentes que jamais. »
Aborder cette musique d’un passé très lointain avec des corps d’aujourd’hui, en posant un regard contemporain et en utilisant des instruments modernes, est une façon d’exprimer les choses qui tiennent à coeur à la chorégraphe. Pour elle, il s’agit d’un éternel retour à l’idée de nous faisons partie d’un grand tout.