Le Journal de Montreal - Weekend
Je suis victime de la guerre des ondes
Ce qu’on pourrait appeler plus modestement la concurrence, mais qu’on se plait à nommer «la guerre des ondes» ou «la guerre des empires» fait-elle des victimes? Sans que je sois obligé de réfléchir longtemps, je réponds oui à la question. Loin de gagner à cette concurrence sans pitié, les téléspectateurs y perdent.
À la suite d’une seule transaction, par exemple, les mordus du hockey – ils sont nombreux – devront réviser leur stratégie d’écoute et… leur budget. S’ils souhaitent voir jouer le Canadien et les autres équipes aussi souvent qu’ils le peuvent et que RDS reste le diffuseur de plusieurs matchs du Canadien, c’est sûr que regarder leur sport favori à la télé coûtera plus cher. Peut-être beaucoup plus cher d’ici quelques années, car il faudra bien que Rogers rentabilise la somme fabuleuse consentie à la LNH.
En plus d’un demi-siècle, malgré la multiplication des chaînes et des écrans, le temps qu’on passe à regarder la télévision n’a pas tellement changé. Mais on est loin du temps où, à part quelques privilégiés comme moi qui vivions le long des frontières américaines, il n’y avait qu’un seul poste à regarder: CBC/Radio-Canada. En noir et blanc et bilingue par surcroît.
LES CHAÎNES SE MULTIPLIENT
Neuf ans plus tard, Télé-Métropole apparaît, puis un quart de siècle après, TQS, qui devient la troisième chaîne généraliste de langue française. Entre-temps, le paysage audiovisuel s’enrichit beaucoup, d’abord avec la venue de Radio-Québec, puis avec celle des chaînes que le câble, et plus tard le satellite, rendent accessibles.
Des dizaines d’autres chaînes voient ensuite le jour. Je prends toujours avec un grain de sel les snobs prétendant qu’il leur arrive souvent de ne rien trouver d’intéressant au petit écran. À moins de vivre dans un territoire qui n’est ni câblé ni accessible par satellite, ou de se contenter des ondes hertziennes, ça me semble impossible qu’il n’y ait aucune émission d’intérêt, quel que soit le jour.
LA TÉLÉ ÉCONOMISE
N’empêche que nous entrons dans une période où traditionnellement, la télévision offre moins d’exclusivités. Contrairement aux téléspectateurs, la télé profite des Fêtes pour faire des économies! On l’a remarqué di- manche dernier, alors qu’à un mois d’intervalle seulement, TVA a rediffusé l’émission spéciale du Banquier avec Céline Dion. Comme l’émission originale avait réuni 2 168 000 téléspectateurs le 4 novembre, c’est étonnant que la reprise réussisse à attirer 617 000 fidèles. Pourquoi ne pas avoir inversé Le Banquier et On connaît la chanson, qui n’était pas une reprise? Mystère!
Pendant quelques décennies, les réseaux de télé se respectaient entre eux. Les soirs où Radio-Canada présentait des galas, faisant contre mauvaise fortune bon coeur, TVA laissait la télé publique lui voler le show. Celle-ci lui rendait la pareille quand TVA présentait le gala ARTISS ou une émission spéciale. On ménageait aussi les séries dramatiques. On prenait soin de ne pas programmer les meilleures l’une contre l’autre. Cela explique un peu les auditoires incroyables des grandes séries d’autrefois.
C’EST FINI LE RESPECT
Cette entente tacite s’est érodée avec l’arrivée de TQS, qu’on aurait bien voulu voir mourir le plus vite possible. Puis, elle a pris fin abruptement quand TVA est devenue la propriété de Québecor. Malgré un certain dégel, les relations entre les deux grands réseaux restent tendues et on ne se fait pas de cadeau. Maintenant qu’il existe plusieurs moyens de faire de la télé de rattrapage, que ce soit avec son magnétoscope, son enregistreur ou en ligne, les réseaux ont pris l’habitude d’opposer leur meilleure émission contre la meilleure du concurrent. Que le plus fort gagne est devenu la norme.
Je maintiens malgré tout que le téléspectateur ne sort pas gagnant de cette lutte constante. C’est vrai qu’on peut enregistrer une émission pendant qu’on en regarde une autre, c’est vrai aussi qu’on peut la revoir en ligne, mais combien de téléspectateurs trouvent-ils le temps de le faire?
CONTENU DILAPIDÉ
Même moi, qui suis accro de télé, je rate d’excellentes émissions, faute d’avoir eu la prudence de les enregistrer ou d’aller les voir en ligne avant qu’elles ne disparaissent. La guerre des ondes gaspille de l’excellent contenu et en fin de compte, ce sont les téléspectateurs qui en sont les vraies victimes. Les plateformes ont beau se multiplier, le temps de chacun pour regarder la télé ne s’allonge pas pour autant.
Le téléspectateur n’est plus hélas! le premier souci des directeurs de programme. Chacun d’eux tente d’avoir l’avantage sur son concurrent, quel qu’en soit le prix.