Le Journal de Montreal - Weekend

Les destins mal accordés

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Dans 3 coeurs, vingt-troisième long-métrage de fiction de Benoît Jacquot ( Sade, Villa Amalia, Les adieux à la reine), un contrôleur fiscal parisien (Benoît Poelvoorde) amorce une liaison avec une antiquaire de province (Chiara Mastroiann­i), sans se douter qu’elle est la soeur d’une femme (Charlotte Gainsbourg) à qui il avait involontai­rement brisé le coeur, et qui vit maintenant aux États-Unis avec un mari qu’elle n’a jamais aimé. Cette nouvelle idylle est vue d’un oeil bienveilla­nt par la mère des deux soeurs (Catherine Deneuve). Entrevue avec le réalisateu­r.

Quelle a été l’inspiratio­n pour le film ? C’est avant tout une envie de cinéphile. Il y a d’abord eu le film Back Street de John Stahl, d’après le roman de Fanny Hurst, un livre assez méconnu aujourd’hui, mais que j’aime toujours énormément, qui raconte les étapes de la longue liaison d’une femme avec l’homme qu’elle n’a pu marier. Puis il y a eu les deux films de Leo McCarey, Elle et lui et Love Affair, dans lesquels un ren- dez-vous manqué à cause d’un accident compromet l’histoire d’amour entre un homme et une femme. Ayant l’idée d’une situation amoureuse mélodramat­ique, je ne pouvais pas ne pas avoir des réminiscen­ces de ces films-là. Il n’y a pas de mélodrame ou même de tragédie, au sens grec du mot, sans malentendu­s, rendez-vous manqués, destins mal accordés.

Par ailleurs, ce qui m’intéressai­t, c’était de faire un film qui ne soit pas un film d’époque, qui se passe ici, maintenant. Non pas à la lumière des bougies, mais à la lumière électrique, et non pas par message porté à cheval, mais par téléphone portable, par écrans interposés… Les malentendu­s prennent alors des formes contempora­ines. Catherine Deneuve, Chiara Mastroiann­i, Charlotte Gainsbourg… Pour le grand public, c’est la royauté du cinéma français. Ça convient très bien à votre histoire, car le personnage de Benoît Poelvoorde est un outsider, un sans noblesse… Je ne sais pas si c’était une idée préconçue de votre part de vous dire: «J’aurai ce noyau très dur que lui aura énormément de mal à…» À pénétrer, oui. Bien sûr. Mais c’est un noyau féminin. Lui est un homme et il faut qu’il ait des raisons presque fonctionne­lles, fonctionna­ires même, pour pouvoir y pénétrer. Ça correspond peut-être aussi à une idée du monde qui est la mienne. Si vous classez le monde entre noble et moins noble, pour moi, c’est du côté des femmes qu’est la noblesse. Le choix de Benoît Poelvoorde s’imposait également.

C’est un acteur qui ne peut jouer que s’il est engagé physiqueme­nt, psychiquem­ent et totalement dans ce qu’il est en train de faire au moment où il le fait. Du coup, c’est vrai qu’il risque. C’est un comédien très dangereux, pour luimême et pour les autres. Il est comme un fou, un dément qui se livre quand il joue, un fou qui se livre à son délire. Il revient alors au metteur en scène de jouer le rôle de son psychiatre (rires).

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