Le Journal de Montreal - Weekend

La foi déplace les montagnes et le public

-

Au Québec, il y a déjà trois ou quatre décennies que les églises sont désertées. Des centaines de paroisses vivotent, arrachant de peine et de misère quelques dollars à leurs fidèles pour entretenir des églises qui craquent de partout. Il y a longtemps que la religion ne fait plus recette à la télévision ou à la radio. Le chapelet du cardinal n’est qu’un vague souvenir pour les plus vieux d’entre nous et je n’ai pas vu depuis longtemps un personnage de téléroman faire son signe de croix.

La victoire de l’amour, la série d’émissions que produit Sylvain Charron, est diffusée depuis maintenant 20 ans, mais à une heure où il faut se lever avant le soleil pour la voir. Le dimanche, comme France 2 à Paris, Radio-Canada diffuse Le jour du Seigneur, probableme­nt l’émission la plus ancienne de la télé, mais elle est loin du «top ten». Puis il y a Second regard à 13h30. Moyennant un abonnement mensuel, la chaîne Sel et Lumière, qui diffuse de l’Oratoire Saint-Joseph la messe du jour (suspendue jusqu’au 13 juillet), est disponible sur le câble et par satellite

Voilà à peu près le menu religieux du téléspecta­teur québécois. Les choses risquent de changer graduellem­ent si notre télévision, comme c’est souvent son habitude, s’inspire de ce que diffuse la télé américaine.

LA RELIGION, C’EST PAYANT

Les producteur­s d’outre-frontières ont le nez fin. Ils semblent avoir flairé qu’il reste un vieux fond de foi chrétienne chez les Américains. Assez pour que les séries et les films à saveur religieuse rapportent de généreux dividendes.

Heaven is for Real (Le ciel, ça existe pour de vrai, titre français), un film de Randall Wallace sorti l’an dernier, a dessillé les yeux des plus sceptiques. Colton, 4 ans, le fils d’un pasteur, est transporté d’urgence à l’hôpital où il fait l’expérience d’une mort imminente. Le film raconte sa visite au paradis. L’enfant y voit les anges, rencontre Jésus «en personne», puis son arrière-grand-père, mort 30 ans avant sa naissance, et sa soeur, qui n’a jamais vu le jour, étant morte en fausse couche.

Cette histoire assez invraisemb­lable (dont le compositeu­r montréalai­s Benoît Groulx a fait les arrangemen­ts musicaux) a cassé la baraque du box-office. Produit pour moins de 15 millions $ CAN, Heaven is for Real a déjà rapporté 125 millions et continue d’engranger les dollars, en particulie­r à cause des nombreuses ventes à la télé.

AVEC MOI, LE DÉLUGE

Noah, le film de Daren Aronofsky avec Russel Crowe en vedette dans le rôle de Noé, a rapporté jusqu’à maintenant trois fois le montant de 155 M$ CAN, investi pour sa production. Même s’il a soulevé un déluge de discussion­s chez les spectateur­s, le film a été très bien accueilli par la critique et les recettes continuent d’entrer.

Jusqu’à maintenant plus de 100 millions de téléspecta­teurs ont vu The Bible, la docufictio­n de 10 épisodes de Mark Burnett et Roma Downey, diffusée sur History et nommée pour un prix Emmy. Très crédible, la série raconte la bible de la Genèse aux Révélation­s, entremêlan­t des histoires de l’Ancien et du Nouveau Testament. Depuis cinq ans, jamais une série n’a connu autant de succès sur DVD.

Il n’en fallait pas plus pour qu’on produise une suite. Cette fois, c’est le réseau NBC qui diffuse la minisérie de 12 épisodes intitulée A.D.: The Bible Continues. Le premier épisode, qui raconte la résurrecti­on du Christ, a été diffusé le jour de Pâques et le dernier, dimanche dernier. Cette fois, la minisérie a eu quelques difficulté­s à conserver son auditoire. Alors que 10 millions de téléspecta­teurs ont regardé le premier épisode, les autres n’ont attiré qu’une moyenne de 4,5 millions, ce qui n’est tout de même pas négligeabl­e.

UN NOUVEAU NOM

Devant l’engouement du public pour des fictions qui sentent le Bon Dieu, le magazine Variety a organisé un séminaire spécial lors de son grand sommet annuel afin qu’on puisse discuter du genre et tirer des conclusion­s des derniers succès qu’il a engendrés.

Producteur­s et auteurs en sont venus à la conclusion qu’il ne faut pas prendre trop de libertés avec les textes bibliques et les évangiles, qu’on doit rester authentiqu­e, prendre garde de heurter les croyants et, surtout, écrire de bons scénarios. Il faut surtout qu’on évite de prêcher et d’être moralisate­ur.

Comme la foi risque de sous-tendre plusieurs films et séries à venir, Hollywood a déjà inventé un nom pour ce nouveau genre: «virtue-tainment», une contractio­n des mots «vertu» et «entertainm­ent».

God Bless America!

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada