Le Journal de Montreal - Weekend
LE MINISTRE AIMÉ
Nous sommes en 1982. Alain Robert, 49 ans, vient d’être nommé ministre d’un tout nouveau ministère, celui de la Famille. Première étape pour l’homme qui deviendra premier ministre. Un politicien aimé et humain. Réalité ou fiction ? Nous sommes sur les ond
«J’étais recherchiste à Parle, parle, jase, jase et c’est à cette époque que j’ai fait la connaissance de Solange Chaput-Rolland, évoque Michèle Bazin, qui a coécrit Monsieur le ministre. » Puis Mme Chaput-Rolland a été mandatée à la Commission sur l’unité canadienne Pépin-Roberts avant de faire le saut en politique et Michèle Bazin, qui l’avait d’abord suivie s’est démarquée comme chef de cabinet, puis attachée de presse de Claude Ryan, notamment. Tout ce temps, les deux femmes restaient en contact et prenaient des notes sur ce dont elles étaient témoins dans le milieu politique. Rappelons que nous sommes autour de 1980, dans une ère préréférendaire. «Je me souviens m’être fait voler mon cahier de notes par des journalistes qui ont fait les manchettes avec toutes les rumeurs et les anecdotes que j’y racontais.»
Quand le gouvernement libéral a perdu les élections, Solange Chaput-Rolland et Michèle Bazin ont donc décidé de se lancer dans l’écriture d’un téléroman.
Radio-Canada venait de perdre un autre gros projet, Peau de banane, et les auteures tombaient à point. «Nous avons travaillé fort pour peaufiner les cinq ou six épisodes que nous avions, et tout a déboulé très rapidement. J’écrivais les structures, Solange les dialogues. Et je me souviens que tout le monde voulait jouer dans Monsieur le ministre. Nous sortions les femmes des cuisines. Elles avaient des rôles de chef de l’opposition, de journaliste. Nous avons eu des acteurs extraordinaires.»
DEVENIR MINISTRE
«Je venais de tourner Race de monde quand la réalisatrice, Raymonde Boucher, me dit: “J’aurais un rôle pour toi sur mon prochain projet”, se souvient le comédien Michel Dumont. Elle m’explique que c’est un téléroman qui se déroule dans les coulisses du gouvernement et je lui demande: Je fais quoi? Elle me répond: tu es le ministre! Et c’est une série qui a marché tellement fort, c’était terrible! Les gens m’en parlaient beaucoup. Je me souviens d’un moment où mon personnage avait été victime d’un attentat et s’était fait tirer dans la jambe. On me demandait de mes nouvelles dans la rue. Au restaurant, les gens venaient me voir pour me demander des subventions. J’étais obligé de leur donner des faux numéros.»
Monsieur le ministre racontait le quotidien d’Alain Robert, de sa femme (Andrée Lachapelle) et de leurs trois enfants (Nathalie Gadouas, Jacques Lussier et Stéphanie Laplante), de sa relation avec son attachée politique (Gabrielle Mathieu), ainsi que du vécu au gouvernement où il évoluait. Émile Genest était le premier ministre de la première saison. Janine Sutto, sa femme. Il y avait aussi Roger Lebel et Jean Duceppe. «Quand tu écoutais parler ces deux-là, même dans la vie, c’est comme si deux vrais politiciens se parlaient, se souvient Michèle Bazin.»
«J’avais déjà joué au théâtre avec Jean Duceppe. On se retrouvait, explique Michel Dumont. Il lui arrivait de me demander de l’aider à apprendre son texte. Solange lui écrivait des répliques parfois compliquées. Émile Genest arrivait des États-Unis et il avait toujours plein d’anecdotes à raconter.»
«C’était tellement intimidant, au début, pour le jeune comédien que j’étais, raconte Jacques Lussier, qui jouait Thierry, le fils d’Alain. Je n’avais jamais travaillé avant et je me retrouvais à côtoyer les plus grands acteurs. Andrée Lachapelle était d’une grande gentillesse. Je partageais beaucoup de scènes avec elle. La réalisatrice Raymonde Boucher savait créer des plateaux où régnait la convivialité.» À sa sortie du Conservatoire, Lussier, 22 ans, avait insisté pour être vu en audition. «À l’époque, nous avions directement accès aux réalisateurs de RadioCanada. On débarquait au neuvième étage pour se faire connaître. J’avais entendu dire qu’on cherchait quelqu’un pour jouer le fils d’Andrée Lachapelle. Avec mes cheveux blonds, je me disais que la ressemblance était là.»
EN AVANCE SUR L’ÉPOQUE
Bien qu’inspirées par leur vécu en politique, les auteures ont dû se défendre d’avoir calqué quoi que ce soit sur la réalité. «Pierre-Marc Johnson était au pouvoir pour le Parti québécois et les gens du bureau de l’opposition m’appelaient pour me dire qu’on faisait une campagne pour le PQ parce que Michel Dumont lui ressemblait (ils avaient d’ailleurs été photographiés ensemble), raconte Michèle Bazin. Mais aucun personnage n’était calqué sur qui que ce soit. La preuve, il n’existait même pas de ministère de la Famille à l’époque. Inversement, certains journalistes nous reprochaient de ne pas avoir de parti pris.
Et pour être intéressants, nous nous devions d’être à l’avant-garde. Nous avons écrit sur une loi pour que les gens arrê-
tent de fumer dans les lieux publics 20 ans avant que ce soit d’actualité. Même chose pour la question de la vitesse et du port de la ceinture de sécurité en voiture que nous avons abordée. Je me souviens même que nous avions écrit un épisode dans lequel un personnage politique se faisait prendre à voler. Quand est arrivée l’histoire de Claude Charron, nous avons décidé de retirer la scène pour ne pas être accusées d’avoir copié.»
L’INCONFORT DE LA VIE PUBLIQUE
Monsieur le ministre dépeignait aussi l’impact de cette vie politique sur la vie familiale.
«Au début des années 1980, les femmes étaient encore très présentes à la maison. En tant que ministre, il y avait toujours quelqu’un chez les Robert. Ils n’avaient plus d’intimité. Ça exaspérait d’ailleurs sa femme, ce qui ajoutait une touche d’humour quand elle disait à son mari: “Si tu n’as rien à faire, fais donc la vaisselle.” Ça nous permettait de parler des enfants, du côté humain, des problèmes de fréquentation, d’école, de drogue.»
«Thierry représentait tout à fait l’inconfort avec la vie publique qui venait avec le travail de son père, note Jacques Lussier, que l’on a pu voir par la suite dans Les Filles de Caleb et Les Machos notamment. Pour moi, c’était un bon gars avec un côté rebelle qui a été mis en relief. Il subissait la mauvaise influence d’un ami, il était impliqué dans une histoire de drogue, accusé injustement d’avoir pris un tableau de sa mère. Elle me disait: «Toi et ta satanée cocaïne!» Nous avions d’ailleurs eu une scène mémorable, Andrée et moi, où je rapportais le tableau et on criait nos émotions à fleur de peau.»
ENTRE FASCINATION ET DÉSILLUSION
Malgré ce passage télévisuel en politique, Michel Dumont n’a jamais eu envie de s’y présenter. «Ce n’est pas la même chose que de jouer, explique le comédien. Être politicien est très difficile et, comme on le voyait dans Monsieur le ministre, il y a un prix à payer pour la famille. Je crois, par contre, que le timing était excellent. La politique a toujours fasciné et, à l’époque, les gens y croyaient. Aujourd’hui, il y a une désillusion.»
«En politique, nous étions dans l’opposition Solange et moi. Tu ne passes pas grand message, note Michèle Bazin, faut que tu suives la vapeur. Notre action politique a beaucoup été axée sur le référendum et non sur les projets de loi.» Mais certains auront peut-être été influencés par la fiction. Qui sait?