Le Journal de Montreal - Weekend

LA VOIE DES ANDES

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La jungle est loin derrière nous. Je commence à respirer. Traverser la zone qui produit la moitié de la cocaïne du Pérou, circuler dans ses villages hantés par des types à la mine patibulair­e nous a donné une sacrée poussée d’adrénaline, mais nous n’avions aucune intention d’y traîner les pieds.

Curieux sentiment que de voir ces collines recouverte­s d’arbustes de coca en sachant qu’environ 90 % de la récolte sera achetée par les cartels. Au poste de contrôle de Machente, les policiers, vêtus et équipés comme des militaires, n’entendent pas à rigoler. Les gringos étant plutôt rares dans les parages, ils n’ont pas hésité à fouiller mon sac à dos et nous demander ce qu’on faisait dans les parages. Je comprends qu’ils soient sur les dents. Leurs collègues se sont fait embusquer par des narcoterro­ristes non loin de là, une semaine plus tôt. Lorsqu’ils comprennen­t que nous sommes deux hurluberlu­s inoffensif­s, ils nous souhaitent bon voyage.

La route qui relie San Francisco sur les rives de l’Apurimac à la ville d’Ayacucho ne fait que 175 km, une distance presque dérisoire sur une surface pla- ne. Dans la cordillère des Andes, c’est une autre paire de manches. Dans son ascension, la route semble émerger d’une vallée tropicale embrumée vers de hauts plateaux rocheux au climat aride, baignés de lumière. Me retrouver sur l’une de ces routes à flanc de canyon suscite des émotions fortes. Nous filons entre deux murailles vertigineu­ses, à la fois libres et vulnérable­s.

Raphaël a acheté sa moto depuis peu, une 150 cm3 de fabricatio­n chinoise, et il ne l’a jamais éprouvée sur un parcours au relief aussi montagneux avec des passages qui frisent les 4000 mètres. La vibration constante met le véhicule à rude épreuve. Aussi peut-on entendre son moteur s’essouffler sous notre poids à mesure que la journée avance. Nous progresson­s tant bien que mal.

Malgré la rigueur du climat, le peuple quechua, descendant des civilisati­ons précolombi­ennes, occupe et cultive ce territoire depuis des siècles, comme en témoignent d’antiques gradins et les systèmes d’irrigation sur les versants. Au coucher du soleil, nous arrêtons au village de Tambo. Le thermomètr­e dégringole aussitôt. Devant l’église, des dames emmitouflé­es dans des mantes aux couleurs vives installent leurs chaudrons sur de grandes tables. Pour quelques piécettes, une cuisinière vous verse une louche pleine de caldo de cabeza. Le plat traditionn­el de ce peuple d’éleveurs consiste en un bouillon d’agneau... servi avec la tête de l’animal.

« COIN DE MORTS »

Après une nuit de repos bien méritée, nous traversons Quinua, pittoresqu­e village dont les habitants ont pris l’habitude d’orner le toit de leur maison d’une église miniature en terre cuite. Enfin, se dévoile, dans le contrefort de montagnes aux coloris pastel, Ayacucho, lieu d’innombrabl­es combats entre les conquérant­s incas et les autres peuples autochtone­s, en quechua son nom signifie littéralem­ent le «coin de morts». La brutalité de son histoire et la beauté mélancoliq­ue de ses paysages ont inspiré plusieurs huaynos, chants et danses traditionn­elles. Si Ayacucho ne figure pas sur les itinéraire­s touristiqu­es en raison des troubles politiques des dernières années, la cité possède un charme colonial indéniable.

À la sortie de la ville, nous empruntons la route 3S qui longe la rivière Mantaro afin de nous rendre à Huancayo, situé à 260 km en amont. Les averses ralentisse­nt considérab­lement notre progressio­n. Notre course se termine quelque part au beau milieu de cette vallée agricole, l’une des régions les plus démunies du pays. À la brunante, mon ami veille à rafistoler comme il le peut la moto en vue du lendemain, quitte à utiliser un bas de coton pour remplacer le filtre!

Le lendemain, le moteur de notre véhicule rugit dès les premiers rayons de soleil. Nous filons comme une balle de fusil jusqu’à Huancayo, où nous avalons notre petit-déjeuner, fébriles à l’idée de franchir la dernière étape d’un long périple en moto. Raphaël décide de m’emmener sur un chemin moins fréquenté, mais ô combien fascinant.

De toutes les routes du Pérou que j’ai empruntées, la route 22 entre Concepción et Satipo est celle qui offre les plus beaux panoramas, mais elle s’adresse à des pilotes chevronnés. À 4479 m, alors que nous sommes parvenus sur l’Altiplano, nous faisons une pause devant la lagune Pomacocha le temps de laisser reposer la moto. Nous admirons au loin les rares neiges de sommets escarpés, alors qu’un troupeau de lamas se promènent d’un bouquet de végétation à l’autre.

Fins prêts, repus de paysages splendides, nous entamons la longue descente vers la maison.

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 ??  ?? ∫ 1. On se sent plus grand que nature sur la route 22.
∫ 2. Danse traditionn­elle à Ayacucho. ∫ 3. Une chute près de Huancayo. ∫ 4. Vue sur l’Altiplano. ∫ 5. La lagune Pomacocha à 4479 m d’altitude. PHOTOS COURTOISIE
∫ 1. On se sent plus grand que nature sur la route 22. ∫ 2. Danse traditionn­elle à Ayacucho. ∫ 3. Une chute près de Huancayo. ∫ 4. Vue sur l’Altiplano. ∫ 5. La lagune Pomacocha à 4479 m d’altitude. PHOTOS COURTOISIE

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