Le Journal de Montreal - Weekend
CHRONIQUE D’UNE VIE PAS SI ORDINAIRE…
Film de Barry Jenkins.
Avec Trevante Rhodes, Naomie Harris, Andre Holland
C’est avec une incroyable poésie que le réalisateur Barry Jenkins met en scène ce scénario qu’il a écrit d’après la pièce In Moonlight Black Boys Look Blue, de Tarell Alvin McCraney.
Présenté en trois temps, Moonlight suit la vie de Chiron (Alex Hibbert petit, Ashton Sanders adolescent et Trevante Rhodes adulte, les performances des trois acteurs commandant l’admiration).
Enfant, Chiron est surnommé «Little» et se trouve en butte à l’intimidation plutôt violente de plusieurs de ses camarades de classe. Un jour qu’il se réfugie dans un logement abandonné pour échapper à ses tourmenteurs, il fait la connaissance de Juan (Mahershala Ali), figure paternelle par excellence. C’est que Chiron est élevé par Paula, une mère (Naomie Harris, remarquable de vérité) droguée et à la dérive. Ironie du sort, Juan est le vendeur du quartier. Et, si l’enfant trouve chez cet homme et sa conjointe Teresa (Janelle Monáe) un semblant de vie normale, c’est aussi Juan qui vend à Paula de quoi se défoncer.
La table est mise. L’existence de Chiron va désormais se dérouler selon un schéma dont il ne pourra pas s’affranchir et qui est le lot de bon nombre de jeunes Noirs aux États-Unis. Sans jamais tomber ni dans le misérabilisme ni dans la victimisation, Barry Jenkins montre l’inéluctabilité du destin de Chiron. Et l’acte final de ce triptyque ne sera pas, contrairement aux «recettes» hollywoodiennes habituelles, un moment de rédemption de notre héros.
Splendidement mis en scène, à la fois avec poésie et pudeur, Moonlight (qui devrait récolter quelques nominations aux Oscars, dont une pour le meilleur film) n’est pas une oeuvre revendicatrice au sens traditionnel du terme. Ce long métrage ne s’attarde nullement sur des actes d’héroïsme, de sacrifice ou de dépassement de soi. Les interrogations de Chiron sont bien plus pragmatiques et parfois crève-coeur. Comment doit-il se comporter? Faut-il mieux être dur que tendre? Doit-il exprimer ses sentiments, ses émotions? Dans le monde de Little, puis de Chiron et enfin de Black, il n’y a pas de réponse à ces questions.