Le Journal de Montreal - Weekend

RADISSON GRANDEUR NATURE

Je me souviens de la série Radisson à Radio-Canada, avec Jacques Godin dans le rôle principal. Cette série télévisée, réalisée par Pierre Gauvreau, était tournée dans des décors de studio, mais on avait l’impression de se retrouver en canot sur les lacs e

- JACQUES LANCTÔT Collaborat­ion spéciale

Les discussion­s allaient bon train à l’époque : Radisson était-il un traître à la Nouvelle-France, car, interdit par le gouverneur de pratiquer son commerce des fourrures, il s’était mis au service de l’ennemi anglais ?

Le moins que l’on puisse dire, c’est que Radisson devait être un fin causeur comme le sont très souvent les Français, avec leur faconde particuliè­re et leurs bonnes manières. On imagine le jeune Radisson avec ses « bonjour, m’sieurs-dames », chez les Iroquois qui l’avaient fait prisonnier et qui en firent rapidement un des leurs, en lui épargnant le supplice de la « chevelure levée » (le scalp), contrairem­ent à ses collègues qui l’accompagna­ient. On l’invitera même à participer à un festin amérindien, son premier. On lui donnera « les morceaux [de viande] où il y avait le moins de vers », après l’avoir barbouillé de graisse comme pour en faire un des leurs tout en tentant de lui enseigner des rudiments de leur langue et de leur culture, avec leurs cris, leurs exclamatio­ns et leurs sauts de danse. En quelques semaines à peine, il deviendra comme un poisson dans l’eau, aussi iroquois que ceux qui le prennent en charge, mais maîtrisant davantage la langue huronne que la langue iroquoise. Bon nombre d’immigrants ici auraient intérêt à apprendre de son expérience d’immersion. TORTURÉ

Mal conseillé par un Algonquin rencontré au hasard de ses sorties de chasse, tous deux assassinen­t froidement les trois frères d’armes de Radisson qui l’accompagne­nt et partent à la recherche du village des Français où ils désirent se réfugier. Ils seront faits captifs peu de temps après et Radisson paiera chèrement ses crimes. Il sera torturé cruellemen­t. Il en fait la descriptio­n complète et il faut avoir le coeur solide pour supporter le récit en détail de ses souffrance­s.

Mais il échappera encore une fois à la mort et repartira explorer le sud du territoire québécois avec ses frères iroquois, trappant le castor, abattant cerfs, ours, coqs d’Inde et écureuils pour se nourrir, attrapant parfois des saumons et des esturgeons, ou mangeant la chair de leurs prisonnier­s-esclaves quand ils n’ont plus le choix, fabriquant sur place des canots pour franchir rivières, traverser lacs et transporte­r les peaux d’animaux ainsi que les têtes coupées de leurs ennemis, tout en fumant le tabac dans des pipes.

De retour au village, c’est le festin, et les jeunes femmes apportent à notre héros « les meilleures viandes et un morceau de nourriture, le plus délicat et le plus cordial », un hachis de viande mâchée par de vieilles femmes édentées dont je vous épargne la recette. Plus « sauvage » que ça, tu meurs. Radisson devint un véritable objet de vénération, qu’il expliquait par le proverbe romain : « Fais comme ils font. » Quelle belle leçon d’intégratio­n!

Le premier récit se termine par sa nouvelle fuite, en solitaire cette fois, vers un fort hollandais d’où il est ramené en Hollande puis en France. Mais ce n’est que pour mieux revenir en Nouvelle-France où de nouvelles aventures l’attendent. Décidément, Radisson a la Nouvelle-France tatouée sur la peau. ÉLECTRON LIBRE

Fin causeur, très certaineme­nt, roublard à l’occasion lorsque nécessité fait loi, véritable électron libre, mais toujours préoccupé par les traces écrites qu’il veut laisser de ses voyages à travers les vastes territoire­s encore vierges de l’Amérique du Nord, dès son arrivée en 1651, dans les Trois-Rivières, Radisson nous en met plein la vue dans le récit de ses quatre voyages, une quinzaine d’années plus tard.

J’en ai plus appris dans ces relations de voyages que dans tous les manuels savants sur les moeurs des Amérindien­s d’Amérique. Il est en cela le précurseur du Canadien-français, coureur des bois, rebelle et modeste, réfractair­e à toute contrainte, aventurier et généreux de sa personne, un courageux qui n’a pas peur de l’effort et qui se mêle facilement aux autres en ne leur manquant jamais de respect.

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LES AVENTURES EXTRAORDIN­AIRES D’UN COUREUR DES BOIS/RÉCITS DE VOYAGES AU PAYS DES INDIENS D’AMÉRIQUE Pierre-Esprit Radisson, Éditions Alias
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