Le Journal de Montreal - Weekend
SE LIBÉRER DES FANTÔMES ET DES SILENCES
Pour son tout premier roman, Petite Madeleine, le cinéaste montréalais Philippe Lavalette propose une grande odyssée intergénérationnelle dans sa famille, où la blessure d’abandon est souvent présente, et une incursion dans le milieu artistique de Montpar
Philippe Lavalette est un cinéaste montréalais primé né en France. Il adorerait qu’une adaptation cinématographique du roman se fasse.
Philippe Lavalette – le père d’Anaïs Barbeau-Lavalette, auteure du best-seller La
femme qui fuit – propose une véritable quête sur ses origines familiales. Il remonte le fil jusqu’à l’histoire de sa grand-mère Madeleine Fargeau, retrouvée sur un paillasson devant une église de Montparnasse.
Lucia, la domestique portugaise d’un grand peintre, a abandonné son bébé naissant sur le pas d’une porte. La petite est sauvée par Mademoiselle Fargeau qui posait nue pour les peintres de la bohème. Et d’une femme à l’autre, toute une lignée de femmes sera marquée par la blessure d’abandon. DE SURPRISE EN SURPRISE
On va de surprise en surprise en lisant ce roman. « Le livre est né de ce besoin de comprendre ce syndrome de l’abandon qui a aussi marqué Manon Barbeau, ma femme, de ce côté de la famille dont parle très bien Anaïs. »
Or, par un hasard incroyable, c’était la même chose de son côté. Philippe Lavalette s’est demandé comment, à partir d’une trahison, on se reconstruit. « La trajectoire que décrit Anaïs est un peu la même de mon côté : comment on va rebâtir à partir d’un désastre? Du côté de Manon, c’est elle-même qui a reconstruit. Moi, c’est ma mère qui a reconstruit. Je suis le bénéficiaire de cette reconstruction. »
Remonter le fil de la généalogie a été long et laborieux. « J’ai mis beaucoup de temps à avoir accès aux archives de l’Assistance publique à Paris. Les dossiers ont été ouverts dans les années 70. Mais c’est fabuleux parce que tout est consigné. C’est une source fabuleuse d’information et d’inspiration. »
L’identité du père du bébé abandonné, un peintre célèbre prénommé Henri, relève-t-il de la fiction? « Je ne peux absolument pas avoir de preuve de cette réalité. Mais il y a une sorte d’environnement favorable qui fait que je suis parti sur cette piste. Je crois aussi que la fiction permet de dégager une sorte de vérité et que parfois, en prenant des petits détours, on va dire encore plus vrai que ce qu’on pensait faire si on se limite simplement aux faits. Mais je n’ai pas de preuve écrite. »
Philippe Lavalette ajoute que pendant deux ou trois décennies, tous les grands noms de l’art contemporain se retrouvaient dans le même quartier, sur les mêmes trottoirs, dans les mêmes cafés, avec les mêmes modèles qui passent d’un peintre à l’autre. « À partir de là, l’imagination s’emballe. J’ai construit le roman à partir du contexte et de ce que je pouvais cueillir à gauche et à droite comme information. Ils sont tous là dans un carré plus petit que le Mile-End. Et ma grand-mère est née en plein milieu, à ce moment-là. »
ÉCRITURE LIBÉRATRICE
Le roman parle donc du lien filial, du traumatisme d’abandon, mais aussi de l’émergence de l’art contemporain, de la Seconde Guerre mondiale, des jeunes hommes partis pour ne plus jamais revenir, des femmes dont la parole n’était ni entendue ni respectée.
Il a trouvé l’écriture libératrice et apaisante. « J’ai le sentiment de quelque chose qui m’a pacifié par rapport à ma vie, par rapport à tous ces fantômes qui sont derrière, tous ces silences, toutes ces souffrances maudites. C’est lourd et personne ne parlait des jeunesses qui ont été massacrées par la guerre, qui a été terrible. J’ai un sentiment d’accomplissement : ce roman, je devais le faire, et je l’ai fait. »