Le Journal de Montreal - Weekend

PLONGÉE DANS L’ORDINAIRE MONTRÉALAI­S

Dans son dernier recueil de nouvelles, Maxime Raymond Bock fouille la vie, ses entrailles, ses mystères, ses doutes. Mais il fouille aussi la ville, en donnant à voir un Montréal de tous les jours – ceux du passé comme d’aujourd’hui. Et ça nous embarque t

- JOSÉE BOILEAU Collaborat­ion spéciale

Maxime Raymond Bock est un auteur qui, en seulement cinq ans et trois livres, a fait sa marque : son oeuvre applaudie, primée, traduite, est reconnue pour l’acuité du regard, la justesse des mots, le rythme des textes. Son nouveau recueil de nouvelles, Les noyades

secondaire­s, confirme ce talent. La scène, c’est Montréal, avec pour épicentre le quartier Rosemont, qui se décline de mille manières, du cégep Maisonneuv­e au parc du même nom. Mais il y a aussi la piscine Gadbois sous l’échangeur Turcot, l’oratoire Saint-Joseph à cause du légendaire vol du coeur du frère André, le vieil hôpital Jean-Talon. Et l’avenue du Mont-Royal, qui recule de plus de cent ans en arrière par la grâce du regard d’un historien qui n’a plus toute sa tête, mais qui a gardé toutes ses connaissan­ces.

Tout est décrit avec une telle attention que d’une nouvelle à l’autre, on voit tout : les gravats et les insectes morts, les couleurs qui se délavent, les portes cachées, les casiers qui rouillent, les arbres « hauts et lents ». Sans oublier les odeurs, de vinaigre comme de crème solaire, ou celle d’une touffeur caniculair­e.

Et dans ce Montréal-là, il y a des personnage­s. Des hommes encore jeunes confrontés à leurs limites : ils ne seront pas l’athlète rêvé, ne reprendron­t pas une grande amitié d’enfance, ne revivront pas des événements supposémen­t marquants de leurs débuts, devront vivre avec des blessures physiques qui ramènent chacun à son statut de simple mortel…

SOCIÉTÉ QUÉBÉCOISE

À travers ces défaillanc­es, ce sont aussi celles de la société québécoise qui s’affichent. On savourera toute l’ironie d’une histoire comme Mystères d’Anna

Canuel, où un livre peut littéralem­ent faire mourir. Comme en conclura le gouverneme­nt, en quête de réélection : « On n’avait jamais été aussi en sécurité qu’analphabèt­e. »

Le système de santé est tout aussi mis à mal lorsque le narrateur de la nouvelle Pneuma devra subir l’attente aux urgences et l’indifféren­ce du personnel alors qu’il se tord de douleur pendant des heures. Occasion pour lui de revoir des segments de sa vie, occasion pour nous de mieux voir l’indignité quotidienn­e, celle qui n’a « rien pour faire déraper une campagne électorale ».

Les nouvelles se succèdent ainsi, avec des observatio­ns sans concession, qui témoignent parfois de désarroi, parfois d’une trompeuse nostalgie, parfois d’étonnement devant la vie qui va. Et pourtant, il ne manque ni d’humour ni d’affection sous les remarques acides.

Et on sort de ces noyades avec une furieuse envie de remonter à la surface et de faire comme l’auteur : arpenter la ville pour mieux en lire l’ordinaire – ses rues, ses parcs, ses cafés, ses gens.

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LES NOYADES SECONDAIRE­S Maxime Raymond Bock, Le cheval d’août, 370 pages
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