Le Journal de Montreal - Weekend
UN HOMMAGE ÉMOUVANT AUX PREMIÈRES NATIONS Je suis à peine sorti des récits de voyage de Radisson, peuplés de guerres sans merci entre Français et Amérindiens, de luttes fratricides entre Iroquois et Algonquins, et voici que Serge Bouchard m’interpelle et
Le jeune anthropologue effectue ses premières recherches chez les vrais « sauvages », comme il appelle affectueusement les Premières Nations. Il n’en reviendra jamais, au sens figuré, je veux dire. Il sera, lui aussi, un nomadiste parmi les nomadistes et courra les bois avec ses cahiers sous les bras, pour nous faire partager le savoir millénaire des Innus.
Tout comme Serge Bouchard, moi aussi quand j’étais petit, je prenais le parti des Indiens, détestant les cowboys, que je trouvais trop violents et rapaces. Je préférais les flèches aux pow-pow. Dans ma famille, on les aimait tellement qu’on s’est même inventé une lignée métisse. Je dis « inventé », car nous n’avons jamais pu prouver les dires de notre mère qui affirmait une parenté lointaine avec Louis Riel, ce dont nous étions fiers.
UNE PREMIÈRE MISSION
La première mission de l’anthropologue en Algonquinie consiste à faire « l’inventaire de toutes les espèces animales présentes sur la Côte-Nord et au Labrador, y compris les espèces marines ». Les Innus ne demandaient pas mieux qu’on s’intéresse à eux, à leurs us et coutumes avec respect. Bouchard découvre une population heureuse qui possède un savoir immense « sur tout le champ de la biodiversité boréale ». Là où nous pensons découvrir une terre inhospitalière, eux y voient « un jardin rempli de richesses, une terre infiniment aimable ». Terre que les Basques, grands chasseurs de baleines, avaient découverte bien avant Jacques Cartier, pratiquant le troc avec les Amérindiens, échangeant fourrures contre chaudrons, verrerie et autres outils. Et bien avant les Basques, les Vikings, venus de Scandinavie et du Groenland…
Lorsqu’il s’y installe, au début de 1970, le gouvernement fédéral est à organiser la sédentarisation des derniers Amérindiens, Cris, Innus et Dénés, « eux, les orgueilleux de la liberté, les voyageurs immémoriaux », pour les parquer dans des réserves et des pensionnats. « Les peuples du caribou et des grandes chasses voyaient tout s’écrouler autour d’eux et on leur proposait en retour le désoeuvrement et l’indignité de la réserve indienne. » Une véritable tragédie, l’équivalent d’un cyclone Irma, mais dont on ne se relève pas. On n’arrête pas le progrès. Les ski-doos remplacèrent les traîneaux à chiens, « de vieux pickups et quelques minounes prirent d’assaut les rues symétriques de la réserve avec, au volant, des chauffeurs mal assurés ». La télévision fit le reste.
ENTENTE CORDIALE
Revenant plus de 350 ans en arrière, Bouchard rappelle que la première vraie alliance franco-amérindienne, comprenant les Montagnais et deux autres nations algonquiennes, ainsi que des Français parmi lesquels un certain Samuel de Champlain, eut lieu en 1603, près de Tadoussac. « Nulle tractation ou marchandage, ni usurpation ou cession de terres ; plutôt une entente cordiale, une réciprocité d’intérêts, un pacte tout à fait unique dans les annales de la colonisation. » La manière diplomatique des Français n’a rien à voir avec les conquistadores espagnols, plus au sud. Cette alliance, marquée au sceau de la loyauté et de l’égalité des droits, tracera la voie aux futurs explorateurs français.
Bouchard ne refait pas l’histoire, il ne fait que nous rappeler certaines vérités qu’on a tendance à oublier. Entre autres, que les Amérindiens sont nos frères et nos meilleurs alliés. « Non seulement il n’est plus possible d’écrire l’histoire du Québec sans relater la présence continue des Premières Nations, mais il ne peut y avoir des réflexions sur cette histoire sans les connaissances et les perspectives qu’apportent les Premières Nations. »