Le Journal de Montreal - Weekend
Un amphibien amoureux et attachant
La forme de l’eau
C’est en voyant La créature du lagon
noir, lorsqu’il était petit, que Guillermo del Toro a su qu’un jour, il mettrait en scène un homme poisson, une créature fantastique à qui il ferait vivre une merveilleuse histoire d’amour. Il ne lui restait plus qu’à trouver l’étincelle…
« C’est en 2011 que j’ai entendu l’idée de base qui a débloqué le concept du film, a détaillé Guillermo del Toro lors d’une conférence de presse téléphonique. Daniel Kraus [NDLR l’auteur de
Trollhunters, écrit avec le cinéaste] m’a dit un jour qu’il avait pensé à l’histoire d’une femme de ménage qui rencontre un amphibien dans le laboratoire dans lequel elle travaille et elle le ramène chez elle. »
« En me demandant qui pourrait incarner la femme de ménage, j’ai immédiatement pensé à Sally Hawkins. Mon agent a appelé le sien en lui indiquant que j’écrivais l’histoire pour elle. Ç’a été la même chose pour Michael Shannon. Au fur et à mesure, en 2014, j’ai alors commencé à écrire spécifiquement pour Doug après l’avoir rencontré et lui avoir offert le rôle de la créature aquatique. »
LABORATOIRE SECRET
La forme de l’eau réunit les éléments chers au créateur du Labyrinthe de Pan. L’intrigue se déroule en 1962, en pleine guerre froide. Elisa Esposito (Sally Hawkins) est muette, s’occupe de son voisin et ami Giles (Richard Jenkins), et travaille comme femme de ménage dans un laboratoire secret avec sa collègue et amie Zelda (Octavia Spencer). Un jour, les deux femmes sont affectées à l’entretien d’une pièce qui contient un aquarium dans lequel vit une créature (Doug Jones) mystérieuse. Le colonel Richard Strickland (Michael Shannon) est chargé de l’interroger et n’hésite pas à torturer cet être étrange, tandis que l’un des scientifiques, Robert Hoffstetler (Michael Stuhlbarg), tente de percer les secrets de sa morphologie, susceptible d’aider les États-Unis à envoyer un homme dans l’espace.
RENDRE L’INCROYABLE CRÉDIBLE
Pendant que Guillermo del Toro écrivait le scénario, il pensait aussi à l’aspect visuel du long métrage. « Nous avons mis trois ans à créer la créature, deux années ont été passées à l’imaginer et une année à réaliser le costume. »
« Dès le départ, j’avais décidé que nous fabriquerions un costume physique et qu’on appliquerait du maquillage à Doug. Avant même que le public réagisse, j’avais besoin que les acteurs
réagissent pour pouvoir jouer. »
« Je souhaitais que le public ait un point de vue changeant sur le personnage. Lorsque le film débute, c’est un choc – une main tape contre une vitre, comme dans un film de monstres –, puis on voit la silhouette de la créature en train de saigner. On ne sait pas encore si cette créature est méchante ou pas. Puis, elle sort de l’eau et cligne des yeux. C’est, à mon sens, le moment où le public ressent de l’empathie pour la créature. Puis, elle regarde Sally, et c’est là où on s’aperçoit qu’elle est intelligente. »
« Ce que j’espère ? Qu’à la fin du film, les spectateurs auront complètement oublié qu’il s’agit d’un être fantastique, qu’ils l’aimeront et qu’ils voudront qu’il reste en vie. »
LE RAPPORT À L’AUTRE
Dans l’ensemble de son oeuvre, Guillermo del Toro utilise le fantastique pour étudier notre rapport à l’autre et
La forme de l’eau est une itération supplémentaire de cette réflexion.
« Chaque personnage secondaire possède une vie. C’est un film dans lequel j’ai mis un point d’honneur à suivre les personnages dans leur intimité, de manière à ce qu’on puisse avoir un aperçu de leur existence. Chaque personnage devient quelqu’un dont on peut vivre une partie de la vie et donc, qu’on peut essayer de comprendre. Comprendre, c’est supprimer la peur. Et c’est un film qui montre qu’il ne faut pas craindre l’autre, mais l’accepter pleinement. »