Le Journal de Montreal - Weekend
HOMMAGE AU PEUPLE INNU
À travers les souvenirs de son travail comme jeune anthropologue à Ekuanitshit (Mingan) dans les années 1970 et de nombreuses références, Serge Bouchard réécrit l’histoire du Québec en donnant la parole aux Innus dans son nouveau livre, Le peuple rieur.
Serge Bouchard écrit que son livre « refait à la fois le chemin de sa joie et son chemin de croix ». Et c’est très juste : avec sensibilité, émotion et un grand souci de vérité, il raconte l’histoire d’un peuple résilient, d’une culture immensément riche.
Donnant la parole aux Innus, il leur permet de donner leur point de vue sur l’arrivée des Européens et sur les différents événements qui ont jalonné les siècles.
Les petites histoires qu’il raconte avec le talent qu’on lui connaît sont celles d’une société traditionnelle dont les fondements ont été, comme il l’écrit, « ébranlés et brisés entre 1850 et 1950, alors que le gouvernement orchestrait la sédentarisation des adultes et l’éducation forcée des enfants ».
De passage à Québec, Serge Bouchard était accompagné des chefs Martin Dufour d’Essipit et JeanCharles Piétacho d’Ekuanitshit (Mingan) pendant ses entrevues.
« Jamais je n’aurais eu l’idée de faire ça... mais il y a quelqu’un qui y a pensé... », lance tout d’abord Serge Bouchard, interrompu par un grand rire de Martin Dufour, qui complète l’explication. « Ça faisait plusieurs années qu’on récoltait de l’information sur toute l’histoire des Innus. Avec l’historien Pierre Frenette, on avait réussi à récolter beaucoup d’information. On voulait faire un livre sur Essipit, mais aussi sur la nation innue. »
Serge Bouchard a entrepris de continuer le travail laissé en plan à la suite du décès de Pierre Frenette. « On voulait que M. Bouchard sorte la vraie histoire des Innus, et aussi du Québec, parce qu’on fait partie de l’histoire du Québec. »
L’auteur poursuit. « Il y a énormément de choses qui ont été écrites sur les Innus, dans les temps anciens, dans les temps modernes. J’ai pris un morceau à gauche, un morceau à droite. Au début, j’ai essayé d’être sérieux. Et c’est là que je me suis rendu compte qu’il fallait donner une touche plus émotive, plus personnelle – je dirais une touche d’amitié et d’amour. »
RÉÉCRIT AU « JE »
À la suggestion de Marie-Christine Lévesque, il a donc réécrit son livre au « je »... racontant comment il avait été accueilli par le père et la mère de Jean-Charles Piétacho à Ekuanitshit dans les années 1970. « J’ai été reçu comme un enfant qui ne savait rien. Son père m’a placé chez Michel Mollen. Ça m’a transformé à jamais. J’y ai passé cinq mois. Je suis revenu à Montréal, et je n’étais plus le même homme. J’avais appris des valeurs innues, et elles sont restées avec moi tout le temps. Ça fait 50 ans de ça. » Jean-Charles Piétacho le regarde et acquiesce, avec le sourire. Il avait 13 ans à l’époque.
Parmi les valeurs innues qu’il a faites siennes, Serge Bouchard retient de ne pas s’énerver pour des choses qui ne sont pas graves, la patience et la générosité envers les gens, le partage, l’importance de la collectivité, la poésie et la religion.
LES PENSIONNATS
Dans le livre, il aborde aussi la difficile question des pensionnats.
« Ce que j’aimerais qu’on retienne, c’est que c’est pas juste une question de principe, une question abstraite, une question dans l’air. Ce sont des vraies personnes qui ont été détruites par les pensionnats. Il n’y en a pas une, il n’y en a pas deux : il y en a des milliers, sur plusieurs générations. Mon chum Georges n’est pas là aujourd’hui, il est mort. Ça l’a tué. [...] Il faut mettre des vrais visages humains sur cette tragédie. »
SERGE BOUCHARD — LE PEUPLE RIEUR