Le Journal de Montreal - Weekend
UNE RÉVOLUTION TRANQUILLE MÉCONNUE
Pour tout le monde, la Révolution tranquille débute avec l’élection de Jean Lesage, en 1960. Fin de la Grande noirceur. Deux ans plus tard, lors d’élections anticipées, il lance son fameux « Maîtres chez nous ! »
Cet éveil n’a pas été le fruit d’une action spontanée, de toute évidence, tout comme l’éruption d’un volcan se manifeste toujours par des signes avant-coureurs. Le plus connu est certainement le Manifeste
du Refus global, en 1948, lancée par le peintre et professeur Paul-Émile Borduas et son groupe des Automatistes. Rappelons-nous les premières phrases :
« Rejetons de modestes familles canadiennes-françaises, ouvrières ou petites bourgeoises, de l’arrivée du pays à nos jours restées françaises et catholiques par résistance au vainqueur, par attachement arbitraire au passé, par plaisir et orgueil sentimental et autres nécessités. […] Un petit peuple serré de près aux soutanes restées les seules dépositaires de la foi, du savoir, de la vérité et de la richesse nationale. Tenu à l’écart de l’évolution universelle de la pensée pleine de risques et de dangers, éduqué sans mauvaise volonté, mais sans contrôle, dans le faux jugement des grands faits de l’histoire quand l’ignorance complète est impraticable. » Méchant coup de semonce, comme dirait l’autre…
Mais il y a d’autres antécédents révélateurs d’une fissure dans le bloc monolithique que représentait la société canadienne-française de l’entre-deux-guerres. Alors que la société québécoise se transforme avec une urbanisation rapide et l’arrivée du capitalisme industriel qui laisse, loin derrière la petite production artisanale, certaines de ses élites, incapables de contrôler les leviers économiques nécessaires à l’émancipation de la nation ca- nadienne-française, vont livrer le combat dans la sphère idéologique traditionnelle.
LUTTES SYNDICALES
L’accouchement d’une nouvelle société ne se fera pas sans heurts et résistance. Le mouvement syndical n’est pas absent de ces débats où deux forces s’affrontent, représentées par les syndicats catholiques (la CTCC, l’ancêtre de la CSN) et les unions internationales (CMTC, l’ancêtre de la FTQ), qui reconnaissent d’emblée qu’elles ont aussi un rôle social à jouer. Justement, l’Église catholique et ses élites traditionnelles voient d’un mauvais oeil les influences du communisme et du socialisme, venues essentiellement de « l’extérieur », et elles vont favoriser l’émergence de nouvelles organisations sociales, certaines de type corporatiste, qu’elles pourront mieux contrôler, et qui prônent une voie médiane entre capitalisme et socialisme. Le haut clergé ira jusqu’à proposer « au gouvernement et aux institutions religieuses d’octroyer leurs contrats aux entrepreneurs en construction et aux syndicats catholiques ». Comme quoi, les retours d’ascenseur et la collusion ne datent pas d’hier.
Les deux grandes entités syndicales vont s’affronter. Le CMTC accusera la CTCC de défendre les intérêts de la petite bourgeoisie canadienne-française plutôt que ceux de la classe ouvrière, en favorisant un atelier fermé, avec l’embauche de travailleurs catholiques, tandis que la CTCC accusera le CMTC d’être noyauté par des communistes. Une telle division ne favorisera guère l’unité des travailleurs et profitera plutôt au patronat. Cette façon de voir et d’analyser a encore des répercussions aujourd’hui. Elle se reflète jusque dans les partis politiques, le Parti libéral étant celui de « la moyenne et grande bourgeoisie nord-américaine, des fédérations professionnelles et patronales », etc.
LUTTES IDÉOLOGIQUES
La sociologue Céline Saint-Pierre nous rappelle avec justesse que la Révolution tranquille du début des années soixante ne fut pas un geste spontané, comme on a pu le laisser croire. « La décennie des années 1930 fut une période de bouleversements économiques majeurs et de luttes idéologiques fortes au sein de diverses sphères de la société. » Et elle cite le sociologue Fernand Dumont pour qui ces années furent le théâtre d’une première révolution tranquille « qu’il faut comprendre comme l’expression d’un changement radical susceptible de provoquer une rupture avec l’ancien modèle de société et d’annoncer l’arrivée d’un nouveau modèle ». À la lecture de cet ouvrage, on comprend mieux d’où on vient et notre ferme opposition à toute immixtion de la religion, quelle qu’elle soit, dans nos activités quotidiennes.