Le Journal de Montreal - Weekend
LE GRAND RETOUR DE LAPINOT
Si on ne compte plus les lassantes résurrections dans l’univers du 9e art – Superman, Wolverine, Jean Grey –, celle inespérée du personnage fétiche de Lewis Trondheim crée l’événement de l’année.
Née de l’imaginaire fertile de Lewis Trondheim en 1990, soit au moment de la fondation de la structure éditoriale indépendante L’Association, à laquelle il prend part avec cinq autres jeunes collègues artistes, Lapinot sert de banc d’essai à l’aspirant dessinateur, qui se donne pour défi de réaliser un premier album de 500 pages totalement improvisé.
Intitulé Les carottes de Patagonie, l’imposant pavé publié en 1992 jette les bases de l’univers anthropomorphique et humoristique d’une des séries phares des années 90. Entre 1995 et 2004, un total de neuf albums des aventures de Lapinot seront publiés chez Dargaud, sans compter quelques hors séries, dont
Mildiou réédité chez l’éditeur montréalais Pow Pow en mai dernier.
L’une des particularités de la série est d’alterner entre une narrativité contemporaine et des incursions dans des univers parallèles (western, fantastique, polar, de cape et d’épée, hommage à Spirou) d’un album à l’autre. Au huitième tome, Lapinot meurt. Dans Désoeuvré, un essai publié en 2005, l’auteur s’explique à Lapinot : « Au début, ce n’était pas toi qui devais mourir, mais en avançant dans l’album, je trouvais ça tiède… Le thème étant la mort, que celle-ci touche le personnage principal me semblait logique. En plus de ça, c’était ma façon de couper les ponts et de ne pas m’installer dans une routine… Lapinot va être papa, Lapinot se marie, Lapinot est grand-père, Lapinot se fait opérer de la prostate… » Le choc est grand chez le lectorat. D’autant que les années passant, rien n’indique un éventuel retour de l’auteur prolifique à sa série chérit. TOUJOURS VIVANT Treize ans après la parution de La
vie comme elle vient et vingt-cinq après sa création, Lapinot ressuscite d’entre les morts. Contrairement aux comics de superhéros, où la renaissance, bien que monnaie courante, est le sempiternel théâtre d’explications alambiquées, Trondheim évacue habilement la question dans les quatre premières cases. Ainsi débute l’un des meilleurs chapitres de Lapinot, où le monde qu’il avait laissé en 2004 a depuis bien changé. L’omniprésence de la technologie, des médias sociaux, des chaînes d’informations en continu transfigure l’univers du vertueux héros qui tente de faire le bien autour de lui.
À l’ère des reprises de classiques de la bande dessinée franco-belge par de nouvelles générations d’artistes (Corto Maltese, Blake et Mortimer, Astérix, etc.), Lewis Trondheim renoue avec sa création afin de livrer une captivante fable sur notre époque. L’album est d’ailleurs de la sélectioneofficielle des prestigieux prix de la 45 édition du Festival d’Angoulême 2018. Qu’il remporte les honneurs ou non en janvier prochain, Un
monde un peu meilleur a déjà marqué l’Histoire de la bande dessinée de par son génie, sa finesse, sa sensibilité.