Le Journal de Montreal - Weekend
DÉPAYSEMENT GARANTI
Je cherchais un livre qui s’offre bien pendant ces temps de réjouissances, entre Noël et le Premier de l’an, un livre qui fait voyager et rêver. L’ouvrage de Gilles Proulx m’est apparu comme le cadeau doudou idéal puisqu’on dit que cette période des Fêtes est le moment où il se fait le plus de départs vers l’étranger. Ce livre fleure bon l’exotisme, le grand air et le dépaysement. Et ceux qui ne peuvent pas partir pourront toujours rêver et planifier leurs prochaines escapades de manière intelligente.
Gilles Proulx a bourlingué à travers la planète, sans se cacher derrière une caméra, un micro ou une carte de presse. Il me fait penser à un Tintin des temps modernes, un journaliste-reporter sans les attirails lourds. Il va au-devant des gens qu’il rencontre plutôt que de visiter les officines touristiques où l’on vous indique ce qu’on doit visiter, ce qui n’est pas nécessairement le meilleur moyen de faire des découvertes insolites.
Il est intéressant qu’il associe Cuba et la Bolivie puisque leur destin a été scellé à jamais avec la mort du guérillero héroïque Che Guevara, en terre bolivienne. Il se rappelle sa première visite dans l’île communiste, en 1968, alors qu’il n’y avait pratiquement aucune organisation touristique pour accueillir les curieux et sympathisants comme lui. Interrogé, à son retour, par un journaliste de Radio-Canada, son éloge de Cuba ne sera jamais diffusé et, pire, la CIA l’empêchera de couvrir la guerre du Vietnam, en 1972.
En Bolivie, il se rendra jusqu’à La Higuera, le hameau où le Che a été exécuté sur les ordres de la même CIA. On y a érigé un mémorial en son honneur. « La statue du Che qui se détache plus ou moins nettement dans la brume donne l’impression de pouvoir s’animer à tout moment. » Il déplore cependant que la seule boisson qu’on y consomme, ce soit du Coca-Cola, le plus que parfait symbole de ceux qui ont ordonné la mort du Che.
J’apprends qu’une station de ski, Chacaltaya, située à 5300 m d’altitude, « a servi, hors-saison, en octobre 1967, de refuge aux survivants en fuite de l’équipée funeste du Che en Bolivie ». Soulignant que le Che s’est heurté à l’apathie et à la soumission de la population, il prend la peine de rappeler qu’il s’agit d’une « expérience frustrante que certains patriotes ont connue chez nous ».
Avant de quitter le pays andin, il fait découvrir, à la frontière du Chili, les déserts de sel peuplés de flamants roses, ses « plans d’eau qui deviennent rouges, violets, émeraude ou bleus » et ses montagnes aux sept couleurs, « serties de cactus géants ». DE L’AMÉRIQUE LATINE AU MOYEN-ORIENT
On quitte avec regret ce coin d’Amérique latine pour plonger dans le monde islamique, dont le Pakistan, pays dangereux « où ne pas aller », nous prévient-il. Il ne se plaît guère à Karachi, « grande ville plate et rectiligne ». L’Égypte et le Yémen ne représentent guère l’escale idéale non plus, et les femmes sont souvent absentes de la vie publique. Pourtant il fut une époque, rappelle-t-il, où les femmes ont gouverné l’Égypte.
En Iran, qui cache aussi ses femmes, il devra marcher devant sa guide, même si c’est elle « qui me dit où aller ». La Libye de Kadhafi fait bande à part. Il y constate avec bonheur une plus grande liberté et égalité. À l’hôtel où il s’informe sur un service de cirage de souliers, on lui apporte un chiffon et une rondelle de cire.
Il s’étonne qu’il doive le faire luimême. « Ici, Monsieur, un homme ne s’abaisse pas aux pieds d’un autre homme », lui répond-on fièrement.
Bref, il y a de l’exotisme et du dépaysement à revendre dans ce guide illustré de photos hallucinantes, comme ce crabe translucide capté aux îles Galapagos. On peut le lire sans ordre précis, surtout que l’auteur revient parfois sur ses pas en fonction de la nouvelle situation politique.
Bon voyage!