Le Journal de Montreal - Weekend

UN HÉROS MÉCONNU

- JACQUES LANCTÔT Collaborat­ion spéciale

Quel adolescent n’a pas rêvé un jour de devenir espion ou agent double, pour infiltrer les rangs ennemis et dénoncer les injustices ? Un héros à la James Bond, le célèbre Agent 007, inventé par l’auteur Ian Fleming dans les années 1950 ?

Ce qu’on apprend dans la biographie du « plus grand espion canadien », Guy Biéler, racontée par le journalist­e Guy Gendron, c’est que Ian Fleming avait été, pendant la Seconde Guerre mondiale, officier de renseignem­ent naval et membre du Special Operations Executive (SOE) ou Direction des opérations spéciales, et que ses romans ont été inspirés de son expérience d’agent secret durant la guerre.

Le responsabl­e de la section française du SOE était le colonel Maurice Buckmaster. C’est lui qui recruta, au printemps 1942, Guy Biéler, ex-employé de la compagnie d’assurance-vie Sun Life à Montréal et âgé de trentehuit ans, pour mener des « opérations spéciales » dans la France occupée par les nazis allemands. Biéler s’était porté volontaire dans l’armée canadienne pour aller combattre la peste brune en Europe. L’Agent 007, c’est un peu beaucoup lui.

Biéler subira un entraîneme­nt intensif. Il dut apprendre « à se battre à mains nues et à tuer sans faire de bruit, à lire des cartes, à coder des messages, à sauter en parachute, à manier armes et explosifs et à se taire sous la torture ». Plus l’abc du sabotage, l’organisati­on de réseaux clandestin­s et étanches, la filature, le code morse, etc.

DERRIÈRE LES LIGNES ENNEMIES

Le 18 novembre 1942, à la suite de l’échec du débarqueme­nt de Dieppe, on décida d’opérer derrière les lignes ennemies. Il fallait réussir à saboter les communicat­ions avec le commandeme­nt allemand, paralyser le transport pour bloquer les lignes de ravitaille­ment ennemies, etc. En compagnie de deux autres camarades, Biéler fut parachuté en France, avec sur lui, une capsule de cyanure, au cas où il tomberait entre les mains de la Gestapo.

Malheureus­ement, son contact avec le sol fut fatal. À demi paralysé, incapable d’accomplir sa mission, il refuse néanmoins d’être rapatrié et s’efforce de retrouver au plus vite la forme. Malgré tout, il met sur pied des réseaux de saboteurs au nord de Paris, avec l’aide des cheminots surtout.

Les réseaux de sabotage tombaient fréquemmen­t, car peu résistaien­t à la torture, mais le « commandant Guy » se chargeait d’en reconstitu­er d’autres. Jusqu’au jour où il tomba aux mains de la Gestapo. Pendant des jours et des semaines, il sera torturé pour qu’il dénonce les membres de son réseau. « Mon séjour au siège la Gestapo de Saint-Quentin a été un tourbillon de tourments, de cris et de déchiremen­ts. Je refusais de trahir mes camarades, qui avaient beaucoup plus à perdre que moi. J’étais foutu de toute façon. Que je parle ou non, j’allais y passer. […] Je me suis donc enfermé dans un refus obstiné d’ouvrir la bouche. »

LOIN D’ÊTRE LA FIN

Mais son calvaire est loin d’être terminé. On le transféra à Paris où la torture se fit plus raffinée, entre les mains de véritables « technicien­s ». On s’en prenait maintenant à sa tête, à son moral. Privation de sommeil et choc thermique pendant des jours le jetaient au bord du désespoir. Il fut finalement transféré, en compagnie de quatorze autres agents du SOE, en Allemagne, au camp de concentrat­ion de Flossenbür­g, de sinistre réputation, ce camp de « nuit et brouillard » dont on ne revenait pas. Guy Biéler fut fusillé à l’aube du 5 septembre 1944, trois jours après la libération de Saint-Quentin où son réseau, malgré sa disparitio­n, était demeuré actif.

Plusieurs années plus tard, sa fille se rend, non sans émotion, à Saint-Quentin où son père a lutté si durement. On l’acclame, on lui remet une médaille de la ville, des fleurs, entre des centaines d’accolades. Une rue porte désormais son nom : « Rue du Commandant Guy Biéler, Canadien-chef du réseau Musician-Tel, mort en déportatio­n ». Deux autres villages voisins ont aussi une rue portant son nom. Mais à Montréal, seul un édifice situé au coin des rues Plessis et de Maisonneuv­e rappelle sa mémoire. Pourquoi ne pas remplacer Amherst par la rue du Commandant Guy Biéler?

Un livre émouvant et exceptionn­el qui vous arrachera quelques larmes.

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