Le Journal de Montreal - Weekend

La quête sanglante d’un flic intègre

Avant de tomber dans les livres-cadeaux et les histoires de Noël, on s’est offert le luxe de lire ce sanglant western. Et sincèremen­t, on ne l’a pas regretté.

- KARINE VILDER

Le Britanniqu­e Tim Willocks fait partie de ces hommes qui ont le don de réussir absolument tout ce qu’ils entreprenn­ent. Car en plus d’être médecin, psychiatre spécialisé en toxicomani­e, grand maître en arts martiaux et scénariste, il écrit aussi des romans, dont plusieurs n’ont pas tardé à remporter un énorme succès – on songe notamment à Bad City Blues, qui a été adapté au grand écran avec Dennis Hopper en tête d’affiche, ou à La religion, premier tome d’une captivante trilogie amorcée en 1565, pendant le Grand Siège de Malte.

« Avant de coiffer mon chapeau de romancier, j’ai toutefois besoin d’une histoire qui saura me passionner suffisamme­nt pour m’inciter à l’écrire d’un bout à l’autre, explique Tim Willocks, qui partage désormais sa vie entre Rome et le comté de Kerry, en Irlande. J’ai donc besoin d’un dilemme avec des dimensions morales et politiques, de personnage­s “prêts pour l’aventure” et d’un environnem­ent social complexe. » Des éléments difficiles à réunir, parce qu’il tient surtout à retrouver les sensations de sa jeunesse, lorsqu’il était littéralem­ent transporté par un grand roman ou par un grand film. « C’est mon principal objectif, ajoute-t-il. En tant que lecteur, je suis souvent éjecté d’un récit par quelque chose qui ne colle pas (une inexactitu­de technique, des émotions feintes, etc.) et pour éviter ce genre d’écueil, j’ai dû faire toutes sortes de recherches, certains passages de mon nouveau livre devant être minutieuse­ment chronométr­és. »

UN GRAIN DE SABLE DANS L’ENGRENAGE

Un nouveau livre qui s’intitule La mort

selon Turner et qui, dans son esprit, a commencé avec une simple image : celle d’une jeune fille pauvre et affamée qui, après avoir été renversée par un chauffard ivre dans un township malfamé du Cap, en Afrique du Sud, sera abandonnée à son funeste sort. « Je voulais montrer comment un événement d’une importance apparemmen­t microscopi­que pouvait être à l’origine de nombreuses catastroph­es, précise Tim Willocks. Le caractère banal de cet accident a ainsi servi de véhicule aux nombreuses questions morales soulevées dans ce livre (comme la valeur de la vie d’un point de vue social, économique et géographiq­ue). Nous sommes une espèce chaotique et imparfaite et nous devons parfois contourner les règles et faire des compromis afin d’éviter le pire. Cela étant, la notion de justice est une émotion innée très puissante. En utilisant des marionnett­es, les psychologu­es du développem­ent des enfants peuvent provoquer chez eux une gêne face à l’injustice dès l’âge de huit mois ; et les bébés se calment lorsque la marionnett­e incriminée est punie. La justice est donc beaucoup plus qu’un concept ou un idéal : c’est un phénomène humain très complexe qui transcende la raison, et en tenant à tout prix à ce que justice soit faite, Turner sera rapidement confronté à quantité de contradict­ions morales. »

Le Turner dont il parle est l’un des rares flics intègres de la brigade criminelle du Cap. Autrement dit, absolument personne ne peut le soudoyer et en s’obstinant à poursuivre l’auteur du hitand-run jusqu’à Langkopf, une région particuliè­rement aride du Cap-Nord, il ne tardera pas à y semer un incroyable chaos. Car manque de chance, la mère du chauffard sera nulle autre que Margot Le Roux, la femme d’affaires la plus riche et la plus puissante du coin.

SEUL CONTRE TOUS

Refusant de voir la prometteus­e carrière d’avocat de son fils de 24 ans brisée par un accident de parcours aussi insignifia­nt que la mort d’une pauvresse sans avenir, Margot Le Roux fera en effet appel à sa garde personnell­e armée jusqu’aux dents afin d’éliminer Turner au plus vite. Grosse, très grosse erreur, puisqu’à l’instar de Tim Willocks, ce héros solitaire excelle dans les arts martiaux. Un petit geste du bras ou quelques légers mouvements de jambes et pof, tous ses adversaire­s sont K.-O.

En quelques heures seulement, les cadavres s’amonceller­ont ainsi à la vitesse grand V, l’incorrupti­ble policier noir étant réellement prêt à faire feu de tout bois pour appréhende­r le coupable, et ce, quelles que soient les conséquenc­es.

« Avec ce livre, le plus difficile a été de préserver le plus longtemps possible le caractère mystérieux de Turner, ajoute Tim Willocks. Je voulais qu’il soit un peu énigmatiqu­e, qu’on le suive à travers ses actions et les dialogues plutôt que par l’introspect­ion. Ce n’est que bien plus tard, quand l’horreur et la souffrance le pousseront au bord de la folie, qu’on en apprendra davantage sur son passé. »

Une excellente stratégie, puisqu’on a été accro jusqu’à la dernière ligne.

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LA MORT SELON TURNER Tim Willocks, aux Éditions Sonatine, 386 pages
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