Le Journal de Montreal - Weekend

ROBERT LEPAGE, CRÉATEUR DE GÉNIE

- JACQUES LANCTÔT

premières la Au création début, oeuvres lors des de était de fréquent Robert Lepage, de dire il et d’entendre dire que Robert Lepage n’avait pas d’émotions. Tout passait par l’image et l’esthétique de celle-ci évacuait ou empêchait tout surgisseme­nt d’une émotion. On demeurait, face à l’oeuvre, dans un froid de glace, une glace bien sculptée, certes, mais on attendait un autre souffle pour nous réchauffer l’âme.

Cela n’est plus vrai aujourd’hui. L’univers de Robert Lepage en est un en constante évolution et ébullition, et rien au monde ne pourrait l’encarcaner. Tout est matière transforma­ble en fable et rien ne se perd. Avec lui, « le musicien devient acteur, l’acteur danse, le danseur parle, etc. ». Il n’y a plus de zone de confort, plus de limite, et cela vaut également, et surtout, pour lui.

Dans cet entretien qu’il a eu, le 7 novembre 2017, avec Ludovic Fouquet, lui-même professeur, metteur en scène et artiste visuel, on découvre un Robert Lepage plus humain, à notre image, et ce qui foisonne dans cette tête aux mille idées.

Son premier choc artistique fut lorsqu’il découvrit qu’on pouvait se permettre de relire et de transforme­r un classique, en l’occurrence La nuit

des rois, de Shakespear­e, montée par André Brassard au Théâtre du Trident à Québec, en 1973. Ce que n’enseignait pas nécessaire­ment le Conservato­ire d’art dramatique où il étudiait.

THÉÂTRE KABUKI

Son second choc fut la découverte du théâtre kabuki, qui venait bousculer les règles théâtrales apprises jusqu’alors. La danse, l’acrobatie, la musique parlaient tout autant que les costumes et la manière de jouer. À travers le kabuki, Lepage apprend la liberté. On peut se permettre d’inventer et de laisser libre cours à ses rêves.

Son troisième grand choc fut sa rencontre avec le théâtre d’Ariane Mnouchkine, à la Cartoucher­ie de Paris. Cette créatrice développe « une approche anthropolo­gique » du théâtre, où le travail d’écriture passe par la mise en scène. Mnouchkine sera, elle aussi, inspirée par le Japon et par le kabuki. Elle deviendra l’idole de jeunesse de Lepage, et sa source d’inspiratio­n pour la création de ses épopées à venir.

Lorsqu’il entreprit le travail de création de sa première pièce, La trilogie des

dragons, en 1985, Lepage n’avait que cinquante dollars en caisse. « J’en ai utilisé quarante pour acheter un mobilier de cuisine des années 1940, dans un marché aux puces de Sainte-Foy. » Le reste s’est fait avec beaucoup d’inventivit­é et à force d’improvisat­ion. « On croyait alors que dans les petites choses, il y avait de grandes choses à découvrir, à révéler. » C’était l’époque où le théâtre pauvre était à l’honneur, sans nécessaire­ment la prétention de transforme­r l’ordre établi. Aujourd’hui, le théâtre de Robert Lepage est tout autre, il peut compter sur des subvention­s importante­s et un bon réseau de commandite­s, mais Lepage n’a pas oublié ses origines, il a conservé l’idée que tout peut se transforme­r sur scène.

En sortant du conservato­ire, il découvre que la mise en scène n’est pas seulement un art matériel, mais aussi un art d’écrire et de dire. « Le fond et la forme se supportent l’un l’autre. » Le décor a des choses à dire lui aussi, et il faut qu’il s’exprime. Ses spectacles feront d’ores et déjà appel à des technicien­s, des « marionnett­istes » du décor, pour que la magie opère sur scène et dans la salle.

Lepage explique son besoin d’alterner entre le travail collectif et le travail solo. Le premier permet une certaine euphorie dans la création, tandis qu’avec le travail solo, il n’a pas besoin de faire des compromis, on peut exprimer une autre dimension de soi-même. « Pour demeurer un événement, le théâtre doit réinventer la forme », affirme celui qui n’a pas hésité à tout bousculer, fond et forme.

Finalement, j’ai découvert un Robert Lepage infiniment attachant.

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ROBERT LEPAGE Entretien et présentati­on par Ludovic Fouquet Éditions Actes-Sud
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