Le Journal de Montreal - Weekend
LE JEUNE HOMME ET SON DOUBLE
Sur la couverture, la photographie d’un jeune homme de dos se dédouble dans un léger flou. Un décalage à peine perceptible qui est au coeur de Francis.
Avec Francis, Alexandre Michaud signe son premier roman. Il lui a valu d’obtenir ce printemps le prix Robert-Cliche, qui s’accompagne depuis maintenant 40 ans d’une bourse en argent et de la parution du livre chez VLB.
L’auteur dit que son récit est inspiré du milieu des vacances de son enfance, à Amqui. Il a gardé la ville et mis l’accent sur les excès qui font les romans d’initiation, ceux dans lesquels des adolescents paumés se cherchent un avenir en se perdant dans les plaisirs immédiats.
L’originalité ici tient dans le fait que si l’histoire tourne autour du Francis du titre, elle est racontée par un autre jeune, Antoine, plongé en pleine introspection.
L’action se situe dans un milieu moins pauvre que médiocre. Boire jusqu’à se défoncer y est un loisir en soi et rêver mieux semble inexistant. C’est dans ce monde-là qu’Antoine Lavoie a l’idée folle de devenir écrivain. La bibliothèque publique lui permet de plonger dans la lecture des grands auteurs.
Mais la réalité est impitoyable : la vie de l’adolescent n’a rien de romanesque. Sa mère est une dépressive chronique, qui bouge si peu qu’elle n’a plus rien de vivant. Son père est au contraire un joyeux luron qui a fait du chômage un art de vivre.
Quant à l’école, c’est un poids pour les élèves qui, comme Antoine, n’arrivent pas à entrer dans le moule.
Mais un jour arrive l’invraisemblable : Francis Pigeon, « la terreur du voisinage », comme le décrit le roman, remarque Antoine. Et pour nourrir son inspiration, il lui promet de lui faire vivre des aventures.
Dans un monde aussi étriqué : il s’agira de boire plus et encore, en y mêlant la dope nécessaire pour perdre longtemps la carte ou faire quelques coups pendables.
Antoine a beau être le narrateur de ces beuveries qui dérapent sur fond d’ambitions littéraires de haut niveau, où même Marcel Proust est appelé à la rescousse, notre attention peu à peu se déplace. C’est le personnage de Francis qui nous interpelle.
BRILLANT
Qu’est-ce que ce jeune bum trouve d’attirant chez Antoine pour toujours le relancer, jouant autant à l’enfoncer qu’à le sauver du pétrin ? Et pourquoi Antoine fait-il à ce point ses quatre volontés comme si lui-même n’en avait aucune ?
La clé de ce drôle de tandem nous sera donnée à la fin, et renversera toute la perspective du roman. Le procédé est brillant.
Mais un autre duo aurait mérité plus d’éclairage : celui des parents d’Antoine.
Sa mère a un passé intriguant qui, hélas, débouche sur une trop cruelle caricature de femme prostrée. À l’inverse, le père est fascinant de résilience : amoureux malgré tout de sa femme, débrouillard, d’un optimisme indécrottable…, on a juste envie de mieux le connaître. Il est l’aspect lumineux de ce sombre roman.