Le Journal de Montreal - Weekend
Ann Patchett signe un roman coup de coeur
Finaliste du prix Pulitzer 2020, La Maison des Hollandais de l’Américaine Ann Patchett est notre premier coup de coeur de l’année. On vous laisse maintenant découvrir pourquoi.
Dans la littérature, il y a souvent eu de vastes demeures au charme vénéneux. Sans tomber dans les histoires de maisons hantées à la Shirley Jackson, on songe plutôt aux résidences qui n’ont pas toujours su faire le bonheur de leurs occupants, comme celles qu’on peut apercevoir dans Gatsby le Magnifique (Scott Fitzgerald), Le palais de verre (Simon Mawer), Howards End (E. M. Forster), L’indésirable (Sarah Waters) ou La fille d’avant (JP Delaney).
Cette liste immobilière pour le moins particulière vient du reste de s’allonger, car elle comprend désormais la somptueuse habitation néoclassique qui a donné son nom au nouveau roman d’Ann Patchett, La Maison des Hollandais.
« Cette maison n’existe pas dans la vraie vie, s’empresse de préciser l’écrivaine américaine, qui vit à Nashville depuis plus d’une cinquantaine d’années. Je l’ai imaginée de toutes pièces en m’inspirant de plusieurs maisons différentes que j’ai eu la chance de voir ou de visiter. » Ce qu’on a été presque déçu d’apprendre, car on n’aurait pas été contre l’idée de pouvoir admirer l’entrée, les boiseries ouvragées, la salle de bal, la bibliothèque, les plafonds ornementés, la piscine ou les portraits à l’huile des premiers propriétaires – un couple de Hollandais à la mine austère ayant fait fortune dans le commerce de cigarettes manufacturées – de cette imposante demeure située à Elkins Park, l’une des banlieues cossues de Philadelphie.
À QUI LA CHANCE ?
Pensant que ça ferait plaisir à sa tendre épouse, le magnat de l’immobilier Cyril Conroy achètera donc cette fastueuse maison en 1946. Il ne pouvait évidemment pas se douter qu’Elna allait très vite en détester chaque recoin. À tel point qu’elle finira par demander le divorce pour partir vivre à l’autre bout de la planète, laissant ainsi derrière elle le tout jeune Danny, trois ans, et sa soeur Maeve, dix ans.
Un homme aussi riche que Cyril ne saurait cependant rester célibataire bien longtemps. Il a beau être distant et franchement taciturne de nature, une jolie veuve ne tardera pas à lui tourner autour comme un vautour. Et dans le temps de le dire, Andrea Smith trouvera le moyen de devenir Madame Andrea Conroy, son unique objectif ayant toujours été de s’installer avec ses filles dans la Maison des Hollandais, qui l’obnubile complètement.
« Quand j’ai commencé à fréquenter l’homme qui allait plus tard devenir mon mari, l’une de mes plus grandes craintes était de devenir une mauvaise bellemère, explique Ann Patchett. J’étais inquiète parce qu’avec le divorce, ses deux enfants avaient déjà traversé pas mal de choses difficiles et je ne voulais surtout pas aggraver la situation. Alors en un sens, je suis Andrea. En tant qu’écrivaine, les personnages de méchants ont toujours été un défi pour moi : dans mes romans, ils sont généralement un peu trop sympathiques ! Mais cette fois, c’est différent. En me servant des peurs que j’avais à l’époque, j’ai réussi à me glisser dans la peau de cette femme arriviste. » Et à faire d’elle une belle-mère comme on n’en souhaite à personne !
L’INVERSE D’UN CONTE DE FÉES
Au moment où l’histoire commence, bien des années se sont écoulées depuis qu’Andrea a officiellement élu domicile à la Maison des Hollandais. Grâce à Danny, qui acceptera ici de jouer les narrateurs, on découvrira d’ailleurs comment elle s’y est prise pour séduire l’austère Cyril, comment elle a coûte que coûte réussi à lui imposer son bon vouloir ou comment elle est parvenue à se débarrasser une fois pour toutes de ses deux beaux-enfants, qui ne demandaient pourtant qu’à se faire aimer d’elle.
« Les intrigues mettant en scène des familles recomposées m’ont toujours intéressée, souligne Ann Patchett. En général, c’est un excellent point de départ. J’ai moi-même grandi dans une famille recomposée, et il y a beaucoup à dire sur les relations qui s’établissent entre frères et soeurs. De fait, parce que Danny et Maeve ont toujours pu compter l’un sur l’autre, leur vie ne sera pas détruite par Andrea. Mais chaque fois qu’ils seront ensemble, ils ne pourront pas s’empêcher de revenir sur leur passé douloureux… »
Même s’ils finiront par retomber sur leurs pieds, Danny et Maeve auront en effet beaucoup de mal à accepter tout ce qu’Andrea leur fera subir au fil des ans. Leur seule consolation ? Le moyen très spécial qu’ils trouveront de prendre leur revanche sur elle. À l’image d’Ann Patchett, il sera à la fois simple et brillant.