Le Journal de Montreal - Weekend

LES TEINTES NORDIQUES

- CÉDRIC BÉLANGER Le Journal de Québec cedric.belanger @quebecorme­dia.com CÉDRIC BÉLANGER,

Oubliez le chalet dans le bois ou le séjour inspirant dans une grande capitale européenne. Quand Andréanne A. Malette a décidé qu’il était temps d’écrire de nouvelles chansons, elle a mis sa guitare et ses bottes de marche dans une valise, puis elle a traversé l’Amérique : direction l’Alaska et ses paysages majestueux.

À près de 7000 km de sa maison, l’artiste de 32 ans a trouvé l’inspiratio­n qui lui a permis de jeter les bases de Sitka, le troisième album de sa carrière, qu’elle lance en fin de semaine, trois ans après la sortie de son précédent disque, sur lequel on retrouvait son plus grand succès à ce jour, la chanson Fou.

Ce voyage, elle en rêvait depuis l’adolescenc­e. « J’ai toujours été fascinée par l’Alaska. C’était le point numéro 1 de ma bucket list », confie-t-elle.

Sitka, c’est le nom d’une petite ville côtière où, à son grand plaisir, on peut « surfer et skier dans la même journée ». Le voyage était donc sportif, mais d’abord et avant tout introspect­if. Le classique voyage bilan du tournant de la trentaine, celui pendant lequel on tourne la page.

« Je n’ai parlé à personne pendant une semaine. J’ai fait du ménage dans ma vie, ce qui a inspiré la chanson Alaska, que j’ai écrite là-bas. »

Plus loin sur cet album de 10 titres, Bateau en papier témoigne d’un autre moment marquant de son séjour alaskien.

« J’étais sur un bateau et j’ai écrit ce que je n’avais pas le goût de traîner pour la prochaine décennie sur une feuille lignée, et j’en ai fait un bateau en papier. Le soir à minuit, à la pleine lune, j’ai lancé le bateau dans l’océan et il est parti. C’était un gros moment symbolique. De moi à moi », se souvient-elle en riant de la scène.

UN ALBUM FORÊT BORÉALE

Dans un emballage folk-pop qui s’aventure parfois en terre indie grâce à une utilisatio­n judicieuse des percussion­s, les teintes nordiques de l’Alaska colorent toutes les autres pièces de l’album, qui abordent des thèmes comme la rupture, la dépression, le deuil et l’affirmatio­n de soi.

« C’est ce que j’ai essayé de faire en tout cas », s’amuse-t-elle en relatant les directives qu’elle donne à ses collaborat­eurs.

« Je leur disais : là, on est dans une forêt, avec la toundra et des loups. Et des percussion­s. Je parle beaucoup en images et pour moi, cet album, c’est la forêt boréale, le froid. »

« C’est certaineme­nt, poursuit-elle, l’album dans lequel j’ai osé le plus parler de sujets qui me touchent, de trucs qui m’ont blessée, chamboulée ou inspirée. Ce sont de vraies émotions profondes qu’on retrouve dans cet album, mais j’essaye toujours que la chanson, et non mon désir de me livrer, soit la priorité. Il y a une grosse portion de création. »

Le brasier, chanson sur la violence conjugale lancée au début de la pandémie, au printemps 2020, en est le meilleur exemple.

« Les émotions qu’elle véhicule – la peur, le sentiment d’être pris –, ce sont des trucs que je connais, mais je n’ai jamais vécu de violence conjugale. »

#METOO

Par les thèmes abordés, Sitka peut-il s’inscrire dans le mouvement de dénonciati­ons en ligne des agressions sexuelles qui a secoué le milieu artistique québécois, l’été dernier ?

« Clairement, répond Andréanne A. Malette. On se demande tous si c’est le temps présenteme­nt de sortir du nouveau matériel et je me suis dit que c’était le bon moment pour cet album-là. Il n’est peut-être pas très lumineux, mais je pense que les gens vont se retrouver dedans à plusieurs niveaux. »

Pour appuyer son propos, elle analyse la chanson Le coeur au ventre, qui traite de la culpabilit­é.

« C’est celle qui me touche le plus. L’histoire se passe dans un tribunal et ça parle du fait que parfois, tu te sens à la fois la victime et le responsabl­e d’une situation et que ça crée une espèce de tourment. Dans #metoo, les femmes se culpabilis­ent énormément de certaines situations – on se dit que je n’aurais pas dû aller dans ce party, que c’est ma faute, que j’étais habillée de telle façon – et on les blâme beaucoup alors qu’elles sont les victimes de ce qui s’est passé. »

« Je ne peux pas me faire poignarder dans le dos »

Andréanne A. Malette n’a pas peur du multitâche­s. Depuis quelques années, elle était autrice, compositri­ce, interprète, gérante et productric­e de ses propres chansons. Sur Sitka, elle coiffe maintenant le chapeau de réalisatri­ce. Aux commandes de A à Z. Un besoin de tout contrôler ? Plutôt un désir de sécurité et de protection, plaide-t-elle.

En ayant désormais droit de regard sur tout ce qui concerne sa carrière, Andréanne A. Malette s’assure que chaque décision qu’elle prendra la conduira là où elle veut aller. Dans un milieu qui a souvent la réputation d’être sans pitié, cette implicatio­n mur à mur lui sert d’armure.

« C’est moi qui décide quand j’élargis ma zone de confort. Je ne peux pas me faire poignarder dans le dos par qui que ce soit », martèle la chanteuse.

Porter tous les chapeaux n’a donc rien à voir avec une incapacité à travailler en équipe ou à faire confiance aux autres. « Je ne suis pas contrôlant­e du tout », affirme-t-elle.

Antoine Lachance, guitariste de tournée, ami et partenaire de premier plan lors de l’enregistre­ment de Sitka, corrobore. Il a vécu une expérience enrichissa­nte avec celle qu’il qualifie de perfection­niste.

« Elle est très minutieuse. J’ai appris énormément avec elle, notamment que nous ne sommes jamais assez pointilleu­x sur les petits détails. »

« Je me lance de petits défis personnels et je me donne beaucoup le droit à l’erreur, précise Andréanne A. Malette. Mon équipe est toute petite, ce sont des gens que j’aime et qui m’aiment, alors si ça ne fonctionne pas, on se vire de bord et on continue. »

 ?? PHOTO CHANTAL POIRIER ??
PHOTO CHANTAL POIRIER
 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from Canada