Le Journal de Montreal - Weekend
UN ESPRIT LIBRE
L’histoire n’a pas oublié la célèbre couturière, qui s’est éteinte dans sa chambre toute blanche du Ritz Paris, le 10 janvier 1971. Cinquante ans après sa mort, le style qu’elle a créé semble plus actuel que jamais, et les péripéties de sa vie privée insp
Rien ne prédispose la petite Gabrielle Chanel aux hautes sphères de la société. Née le 19 août 1883 à Saumur, en France, cette fille de marchand est placée à l’orphelinat à l’âge de 12 ans, après la mort de sa mère. De ce paternel qu’elle a peu connu, mais qu’elle aime décrire comme un aventurier parti chercher fortune en Amérique, la jeune fille ne conserve qu’un surnom affectueux : Coco.
Une adolescence austère passée sous l’égide des religieuses contribue à forger sa personnalité singulière. Anticonformiste, rebelle, dotée d’une volonté inébranlable, la Gabrielle de 18 ans qui apprend le métier de couturière auprès de sa tante voit déjà grand.
LE CHIC À LA FRANÇAISE
Après avoir confectionné et porté ses propres créations pendant quelques années, la couturière emprunte de l’argent à un ami pour ouvrir un salon de modiste à Paris : Chanel Modes a désormais pignon sur rue au 31, rue Cambon. Le Tout-Paris s’arrache bientôt ses créations, à la fois simples et sophistiquées. Coco s’improvise styliste et ouvre des boutiques à Deauville et à Biarritz, où les riches vacancières courent faire le plein de vêtements au style intemporel.
En 1918, elle emploie 300 ouvrières qui lui permettent de fournir à la tâche… et de rembourser son prêt. Lancement d’un parfum emblématique, création d’un atelier de joaillerie... Celle qu’on appelle maintenant Coco est prête à conquérir l’industrie de la mode.
ENTRE L’OMBRE ET LA LUMIÈRE
Dans l’entre-deux-guerres, Coco Chanel élargit ses horizons. Son amitié avec la pianiste Misia Sert l’amène à frayer avec le gratin de la colonie artistique et elle soutient financièrement le compositeur Igor Stravinsky et le chorégraphe Serge Diaghilev. Ses relations privilégiées avec certains dirigeants politiques, dont Winston Churchill, s’avèrent une arme à double tranchant pendant la Seconde Guerre mondiale.
La couturière, révoltée par l’occupation de Paris par les troupes allemandes, ferme sa maison de couture en 1940. De 1941 à 1944, elle habite une suite du Ritz avec son amant, Hans Günther von Dincklage, agent nazi et espion pour le compte des Allemands. Des documents historiques indiquent que Chanel a oeuvré à titre d’espionne, tentant même d’organiser une trêve entre l’Allemagne et le Royaume-Uni.
À la fin de la guerre, elle s’en tire à bon compte en évitant un procès, mais choisit tout de même de s’exiler en Suisse. On chuchote que Churchill serait intervenu en sa faveur…
UN DERNIER TOUR DE PISTE
Gabrielle a 71 ans quand elle rentre d’exil, en 1954. Pas question toutefois de prendre sa retraite : sa longue absence a précipité un retour au corset qu’elle rêve déjà d’enrayer. Aux silhouettes cintrées du New Look de Christian Dior, elle oppose son célèbre tailleur en tweed. « Je ne suis pas à la mode, puisque la mode, c’est moi ! » affirme-t-elle quand on l’accuse de ne pas céder aux tendances.
Fidèle à elle-même, la couturière le sera jusqu’à la fin. Découragée par les changements qui bousculent la société, elle se réfugie dans le travail et se montre plus exigeante que jamais envers ses employés.
Le 10 janvier 1971, elle meurt seule, à l’âge de 87 ans, dans une chambre monacale au goût impeccable.